En cette période de festival de Cannes, il n’est inintéressant de s’interroger sur l’état de la critique de cinéma en France…Ces quelques lignes ne prétendent pas être une analyse rigoureuse mais plutôt l’expression d’un sentiment de lassitude.
Déjà, la soit-disant presse spécialisée (Studio, Première…) apparaît surtout comme un outil de promotion, bien mise en condition sans doute par les attachés de presse, qui n’ont visiblement aucun mal à obtenir des articles au moins complaisants. Les publicitaires excellent à promouvoir les films à coups d’adjectifs dithyrambiques : « émouvant », « excellent », « un vrai regard », « le film le plus troublant depuis… ». A la limite, on peut fort bien se passer d’une telle presse (et on peut aussi y ranger les sites les plus connus de cinéma du genre Allociné).
Mais le problème de la crédibilité se pose également pour une presse à priori plus sérieuse et plus compétente, que ce soit dans la presse écrite (Le Monde, Libération...) soit dans les magazines plus spécialisés du genre Télérama, Positif, Les Cahiers du cinéma…
Pour un œil exercé à lire depuis longtemps ce type de presse, il est assez facile de repérer les réseaux de connivence : une complicité certaine existe par exemple entre les rédacteurs du Monde, des Cahiers et de Libération sur leur manière de promouvoir un cinéma d’auteur à tout prix. Il n’est bien sûr pas condamnable en soit de soutenir des approches nouvelles , des visions originales mais l’effet de mode est bien trop visible : on ne découvre pas un Jean-Luc Godard chaque semaine et on s’étonne parfois de la frénésie à monter en épingle le premier film d’un nouveau venu « très prometteur ». De plus, une complicité parfois explicite existe entre ces journalistes et certaines écoles de cinéma : il est assez clair par exemple que les anciens élèves de la Femis bénéficient d’un traitement privilégié…
Dans cette presse, les Cahiers, depuis les années 1950, ont eu tendance à vouloir sinon monopoliser, du moins dominer la critique du septième art. Il n’est pas question de remettre en cause l’évènement qu’a constitué l’apparition de cette revue, de son importance théorique (notamment à travers les idées d’André Bazin) , de l’importance des cinéastes issus de ses rangs (de Rivette à Chabrol, en passant par Truffaut, Godard, Rohmer pour la première génération : mais cet inventaire pourrait être reproduit à plusieurs époques…).
Mais on doit aussi s’interroger sur le contexte historique, la pertinence des analyses des auteurs de la revue, tant sur « une certaine qualité du cinéma français» que sur le cinéma d’auteur. Comme on le sait, plusieurs historiens ont travaillé sur les Cahiers, en relativisant son impact et en soulignant qu’à l’origine, cette revue est loin d’être progressiste. Roman Polanski lui-même débarqué de sa Pologne natale, avoue avoir été déconcerté par la prétention et la maladresse des cinéastes de la Nouvelle Vague. Bref, il faut savoir prendre ses distances avec cette pensée unique de la critique des Cahiers : on peut apprécier à la fois des films novateurs et des longs métrages plus « classiques »…Cette critique style Cahiers a vite fait d’écraser de son mépris les films dont le style est « académique ». Sous leur plume, ce terme est absolument rédhibitoire et permet d’exécuter en quelques lignes les œuvres qu’ils ne leur conviennent pas. Et pourquoi aussi montrer autant de dédain pour certains films-dossiers, qui ne sont peut-être pas des chefs d’œuvre du septième art mais ont le mérite d’attirer l’attention du public et parfois des politiques à propos d’un problème , économique, social, politique, qui avait été sinon occulté du moins sous-estimé ?
Aussi, comment faire ? D’abord se fier à des critiques en qui on a confiance : pour ma part, je suis souvent (mais pas toujours!) les avis de Pascal Merigeau et de François Forestier dans l’Obs. Faire aussi confiance aux magazines qui n’hésitent pas à donner des critiques opposées, comme c’est le cas de Télérama, quand certains films suscitent des débats (par exemple, le dernier film de Bruno Dumont La Loute, est encensé au delà du raisonnable, sauf …par Pierre Murat dans cet hebdomadaire). Dans un autre registre, Michel Ciment rend honneur à sa profession d’origine, l’enseignement, en cherchant à « positiver » même les films trop vite décriés par ses collègues critiques.
On peut aussi pratiquer une attitude inversée, c’est à dire s’intéresser aux films « descendus » par certains critiques : pour ma part, quand on me dit que tel ou tel film est « académique », j’ai comme le pressentiment qu’il risque de me plaire !
En tout cas, la France a la chance de bénéficier d’une presse de cinéma importante et variée : encore récemment, certaines revues sont apparues comme Sofilm, Ciné-bazar ou La Septième obsession, dans des styles et des approches très différents : cette variété, ce dynamisme de la presse de cinéma ne peut que contenter les cinéphiles, si nombreux dans notre pays. Quand on aime la vie, on va au cinéma et la critique peut nous aider à mieux choisir, … à condition de savoir la lire !