L’Esquive, Abdelatif Kechiche (2003)
Entre les murs , Laurent Cantet (2008)
La vie d’Adèle : chapitres 1 et 2 , Abdelatif Kechiche (2013)
Qu’Allah bénisse la France, Abd Al Malik (2014)
Max et Lenny, Fred Nicolas (2014)
Les Héritiers, Marie-Castille Mention-Schaar (2014)
A 14 ans, Hélène Zimmer (2015)
En quelques années, le cinéma français nous a proposé des images du professeur à travers plusieurs films , dont certains ont eu une audience non négligeable (on pense à Entre les murs, de Laurent Cantet, sorti en 2008, qui a rassemblé un grand nombre de spectateurs et a obtenu la palme d’or au festival de Cannes de la même année ; en 2014, est sorti le film Les Héritiers , de Marie-Castille Mention-Schaar, qui a fait une carrière très honorable en salles, notamment à destination du public scolaire). Il est ainsi intéressant d’aller voir comment notre profession est représentée à l’écran et si nous pouvons considérer cette image crédible…
Des images variées
D’abord, on est frappé de la variété des représentations des enseignants dans les films récents. En premier lieu, il faut bien dire que dans certains films, les professeurs se distinguent…par leur absence ! Dans le film Vie sauvage, le personnage incarné par Mathieu Kassovitz, père soixante-huitard en cavale avec ses deux garçons, se charge lui-même de leur éducation…Dans plusieurs autre films, les professeurs ne sont visiblement qu’un élément du décor aux discussions intenses qui se déroulent au fond de la classe entre les adolescents : c’est frappant particulièrement dans le film A 14 ans, d’Hélène Zimmer où les trois jeunes filles, personnages principaux de ce long métrage, Sarah, Jade et Louise, n’accordent qu’une oreille très distraite au cours auquel elles assistent. Dans Max et Lenny (2014) , « l’héroïne » du film ne pénètre même pas dans son collège mais reste à l’entrée. Elle converse seulement avec un enseignant, qui semble éprouver de la sympathie pour elle mais sans réussir à la convaincre de se rendre dans l’établissement ! D’ailleurs, les trois jeunes filles du film A 14 ans ne se font guère d’illusions : elles vont avoir leur brevet (« mais tout le monde l’a! ») et elles vont se retrouver au lycée professionnel…
Par contre, dans d’autres films plus ou moins récents, le portrait des enseignants est plus gratifiant : dans son film autobiographique Qu’Allah bénisse la France, Abd Al Malik évoque sa professeure de français Mlle Schaeffer (interprétée par Mireille Perrier) et souligne le rôle qu’elle a joué dans sa motivation à continuer des études longues. Elle vient même assister à l’un de ses concerts de rap et à le féliciter pour son talent. De même, on n’a pas toujours relevé suffisamment l’importance qu’un cinéaste comme Abdelatif Kechiche accorde à l’école républicaine. Dans deux de ses films, L’Esquive (2003) et La vie d’Adèle : chapitres 1 et 2 (2013), il tourne de longues séquences où sont mis en valeur des professeurs de lettres…Dans le premier, l’enseignante amène les élèves à comprendre tout l’intérêt de la pièce de Marivaux, Les Jeux de l’Amour et du Hasard. Les adolescents font plus que de se prendre au jeu et s’engagent complètement dans le projet de leur enseignante. Vers la fin du film, certains d’entre eux sont brutalement interpellés par des policiers visiblement ignares et on comprend bien qui sont « les barbares » pour le cinéaste. De même, dans La vie d’Adèle, la jeune lycéenne se passionne pour les cours sur Marivaux , la Princesse de Clèves (!) et Antigone…Et surtout, elle tire des réflexions de ses enseignements des leçons de vie, qu’elle compte bien suivre à titre personnel. Cette soif d’école, Adèle la vit jusqu’au bout puisqu’elle finit par devenir professeur des écoles en maternelle…
Entre réalité et mythe
Mais dans cette liste de films, deux surtout ont retenu notre attention : d’abord parce qu’ils ont eu un certain succès et aussi parce qu’ils présentent deux images bien contrastées du métier d’enseignant.
Le premier est celui de Laurent Cantet, Entre les murs, qui obtient un réel succès à sa sortie en 2008. Il est inspiré du roman homonyme et autobiographique de François Begaudeau, qui a bien sûr participé au scénario et incarné lui-même le personnage principal. Mais l’originalité du film a été de faire participer les jeunes acteurs amateurs par le biais d’ateliers d’écriture qui se sont étalés sur près d’une année scolaire. Au total, une impression très forte de vécu, de scènes « prises sur le vif », de moments « tels quels », qui rappelleront à beaucoup d’enseignants des réalités quotidiennes. D’ailleurs, les jeunes interprètes sont remarquables de vérité, peut-être d’ailleurs parce qu’ils ne jouent pas un rôle mais se content d’être eux-mêmes…(cela dit, cette affirmation est à nuancer : Laurent Cantet nous apprend ainsi que le jeune qui incarne Souleymane a un caractère à l’opposé de son personnage !).
Quand j’avais visionné le film à l’époque, j’avais ressenti une impression de malaise devant l’attitude ambiguë de ce jeune enseignant « qui n’y arrive pas ». Pétri de bonnes intentions, il ne veut pas se laisser aller à une attitude uniquement répressive et tente de « donner la parole « aux élèves, afin « qu’ils construisent leur savoir », selon la formule consacrée…Mais très vite il est débordé par l’agressivité, la mauvaise foi de ces adolescents, prompts à critiquer le système mais sûrement pas à se remettre en cause. Ils ont vite fait de se poser en victimes et contrent systématiquement toutes les tentatives de François de les faire travailler. Il va d’échec en échec et ses leçons tournent rapidement à des discussions et âpres et confuses (l’explication du mot succulent, l’emploi du subjonctif, l’étude du Journal d’Anne Frank…). Le jeune enseignant est d’autant plus désarçonné qu ‘il est sans doute un des seuls professeurs du collège à essayer de « comprendre » et de défendre ses élèves et il se retrouve régulièrement mis en accusation par les adolescents, qui savent jouer admirablement sur son sentiment de culpabilité…Daniel Serceau dans son livre L’école en crise au cinéma (Armand Colin, 2013) estime que ce comportement renvoie à la période coloniale, alors que les Blancs opprimaient les populations noires. C’est donc une façon pour François de « rembourser sa dette » pour les injustices que ses ancêtres auraient commis envers les colonisés de l’époque…Ce n’est que contraint et forcé que le jeune professeur finit par demander un conseil de discipline pour Souleymane, son élève le plus perturbateur. Il dérape même lors qu’il reproche à la déléguée Esmeralda, d’avoir eu « une attitude de pétasse » lors du conseil de classe. Un sentiment de gâchis domine la fin du film. Lorsque le professeur demande à ses élèves ce qu’ils ont retenu de leur année scolaire, il est désemparé quand Henriette lui avoue qu’elle n’a rien appris, rien compris…Bien sûr, le cinéaste et Begaudeau se gardent bien de généraliser leur vision de l’école et martèlent qu’il s’agit d’un collège particulier, d’une expérience particulière…Reste l’image d’un corps enseignant englué dans ses contradictions, entre pédagogie ouverte, transmission du savoir, démocratie à l’école…
En contrepoint, Les Héritiers, sorti en 2014, nous propose le portrait chaleureux d’une enseignante d’histoire géographie, professeur principal d’une classe de seconde au lycée Léon Blum de Créteil qui a affaire au même genre de public scolaire que François dans Entre les murs et qui s’en sort tout autrement (on pourrait suggérer François s’inspire des méthodes de sa collègue !). Le film est réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar, sur un scénario d »Ahmed Dramé, un des lycéens de cette fameuse classe, et qui s’inspire d’une histoire « vraie » (dans la réalité, il s’agit de la classe de seconde 4 au cours de l’année scolaire 2008-2009 et Mme Guégen se nomme Mme Angles). Ce professeur est presque un modèle, comme ceux qu’on nous propose lors des stages de formation des professeurs en IUFM et maintenant ESPE : d’abord elle a une autorité naturelle qui s’impose aux plus perturbateurs : elle garde son calme en toute circonstance, même devant les insolences et l’intolérance de ses élèves. Surtout , après son absence à cause du décès de sa mère, elle se rend compte à quel point l’ambiance dans la classe est détestable. Aussi, elle parvient à les convaincre de participer au concours de la Résistance de l’année, dont le sujet est les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi. C’est presque un sans faute pédagogique que réussit l’enseignante, interprétée de façon très convaincante par Ariane Ascaride, et on reconnaît là la pédagogie de projet prônée par nos instances (on n’est d’ailleurs pas vraiment étonné de retrouver un long entretien avec Philippe Mérieu dans la brochure de présentation du film, qui rappelle les principes de cette démarche, qui doit rendre les élèves plus actifs et plus autonomes). Et tout fonctionne : certes, il y a des élèves réticents, comme celui converti à l’islam qui a l’intransigeance du néophyte et qui refuse de s’intégrer au groupe , mais même Mélanie, la plus rebelle et la plus indisciplinée, se laisse convaincre, en découvrant le parcours d’une autre jeune fille insolente passée par les camps, Simone Veil… Les élèves les plus timides, comme Théo, prennent confiance et découvrent des réalités qu’ils ne soupçonnaient pas. Après avoir visité le Mémorial de la Shoah, un des moments forts est leur rencontre avec un ancien déporté Léon Zyguel, séquence tournée en une seule prise…le happy end pédagogique est bien au rendez vous et les lycéens remportent l’édition 2009 du concours de la Résistance. Ahmed Dramé nous précise que ses camarades et lui ont été à nouveau motivés par leurs études et qu’ils ont obtenu le bac deux ans après avec mention…
Bref, une histoire basée sur des faits réels, mais très (trop) édifiante, un « hymne enthousiaste à la pédagogie active». Là encore, l’enseignant que j’ai été se sent quelque peu gêné…Bien sûr, pour avoir aussi participé à des concours de la Résistance avec mes collégiens, j’ai pu mesurer l’intérêt de ce type de travail, et en particulier lorsque nos élèves étaient confrontés à des témoins de l’époque…J’ai aussi pu constater que ce type de pédagogie pouvait motiver certains de mes élèves, plus efficacement qu’un cours classique…Mais on peut être réservé quant à l’exemplarité et l’efficacité d’une telle pédagogie pratiquée de manière systématique : par moment, le film ressemble d’ailleurs à une mise en image des théories des « pédagogistes » les plus notoires et cette démonstration pourrait paraître pesante à certains : si on a connu certains succès en pratiquant ce type d’enseignement, il y a eu aussi bien des échecs et imaginer que l’école sera sauvée par la généralisation de ce genre de pratique pédagogique nous semble une illusion, peut-être même une illusion dangereuse.
En tout cas, d’un film à l’autre, on mesure l’évolution de l’image de l’enseignant : entre le François d’Entre les murs, aigri et perdu dans ses contradictions et la figure charismatique de Mme Guéguen, il y a comme deux représentations qui s’opposent…Et les enseignants d’aujourd’hui auront peut-être du mal à s’identifier à l’une ou l’autre de ces figures. Mais on peut aussi espérer que le cinéma va nous offrir des portraits plus nuancés dans les films à venir, où les enseignants ne seront ni des aigris ni des activistes de la pédagogie active, des profs normaux en quelque sorte…
Pascal Bauchard
22 avril 2015
pourquoi ne pas citer « LA JOURNEE DE LA JUPE » sorti en 2009 avec Isabelle Adjani dans le rôle d’une enseignante de lettres d’un collège de banlieue, qui craque?
un téléfilm produit par Arte, diffusée sur la chaine puis en salles
énorme succès et record d’audience pour la diffusion télévisée
Un film politiquement incorrect au moment de l’unanimisme qui montre au cinéma les enseignants comme des saints laïcs et tous les élèves comme de bons sauvages? (cf Entre les murs)
sous des aspects sensationnalistes sont posés de réels problèmes (d’ailleurs l’idée d’une journée de la jupe à été reprise en réalité dans certains établissements)