Le Majordome, Lee Daniels
Twelve Years a slave, Steve McQueen
Selma, Ava Du Vernay
Dear White people, Justin Siemin
En près de deux ans (2013-2015), plusieurs films sortis aux États-Unis, ont été réalisés par des cinéastes afro-américains sur des sujets qui concernent leur minorité : Le Majordome par Lee Daniels , Selma par Ava DuVernay et tout récemment Dear white people par Justin Simien. On peut même y rajouter Twelwe years a slave, qui est l’œuvre de l’artiste britannique Steve McQueen, qui se trouve être également noir. Toutes ces œuvres nous amènent à nous interroger : existe-t-il vraiment une façon particulière d’appréhender l’histoire de la communauté noire, lorsque le film est réalisé par un afro-américain?
Un combat déjà ancien
Lorsque notre équipe d’enseignants il y a quelques années avait consacré un dossier à Do the right thing , j’avais déjà évoqué ce problème de l’absence de réalisateurs noirs dans le cinéma américain et en particulier hollywoodien, jusqu’à la percée de Spike Lee : après une très longue attente, la communauté afro-américaine a enfin des cinéastes à sa mesure et le réalisateur de Nola Darling est devenu la tête de file d’une nouvelle génération de cinéastes afro-américains , désireux de trouver leur place dans le cinéma américain. Spike Lee est d’ailleurs très offensif et ne rate aucune occasion pour que les cinéastes afro-américains soient reconnus dans le cinéma américain. Il va tout faire pour obtenir la réalisation de Malcom X, sujet que Norman Jewinson voulait également traiter ( c’est le réalisateur du grand film antiraciste Dans la chaleur de la nuit, sorti en 1967). Il s’en prend à Woody Allen, à qui il reproche d’occulter la population noire dans ses films new-yorkais…Encore récemment, il a refusé d’aller voir Django Unchained de Quentin Tarantino car il estime qu’il est « irrespectueux » envers ses ancêtres…
Dans les années 1980, le cinéma afro-américain semble un peu plus présent, avec l’émergence de plusieurs réalisateurs importants comme John Singleton par exemple, auteur du très réussi Boyn ‘z the Hood (1991) puis de Shaft (2000) ou de Mario Van Peebles, qui tourne New Jake City en 1991…Mais par la suite, le cinéma noir connaît sinon une régression, du moins un certain immobilisme. Les deux cinéastes cités se tournent vers des films moins « marqués » politiquement : des films d’action pour John Singleton (Identité secrète, Flow, 2 Fast and 2 Furious) , des séries -plutôt réussies d’ailleurs- pour Mario Van Peebles (the Boss, Damages, Sons of Anarchy...). Spike Lee lui-même réalise des films d’action de grande qualité mais sous doute moins « engagés » que ses premiers longs métrages (Summer of Sam en 1999 ou Inside Man en 2006). Cependant, il reste concerné par la question (Get on the bus sorti en 1996 est un documentaire qu’il a réalisé à propos de la One Million March, organisée par le groupe Nation of Islam…). Pendant cette période des années 1990, le grand film de fiction sur la communauté noire, Amistad, sorti en 1998, est réalisé par Steven Spielberg…
Un intérêt nouveau ?
Depuis les années 2000, on a le sentiment d’un retour de ces films politiques sur l’histoire de la communauté noire aux États-Unis. Le Majordome , réalisé par Lee Daniels, évoque le personnage d’un domestique haut placé à la Maison Blanche , Cecil Gaines incarné par Forrest Whitaker , inspiré par la vie d’Eugene Kelly qui a servi pendant 34 ans les différents présidents américains : le film balaie ainsi toute l’histoire des noirs aux États-Unis depuis les années 1950. Selma , que tourne Ava Du Vernay, retrace les très graves incidents qui se sont déroulés en 1965 dans cette petite ville d’Alabama : le film insiste sur le rôle joué par Martin Luther King dans l’organisation des manifestations et montre bien comment ces événements ont amené le président Johnson à lever toutes les restrictions empêchant le vote des Noirs dans le sud des États-Unis . Dear white people du jeune cinéaste Justin Siemin décrit les relations raciales tendues au sein de la prestigieuse Université de Winchester. En réalisant Tweve Years a slave, le cinéaste britannique Steve McQueen s’est intéressé à l’aventure en tout point extraordinaire de Solomon Northup, homme libre , enlevé et resté esclave pendant 12 ans , au milieu du XIX°, quelques années avant le début de la guerre de Sécession…
Une vision différente…
La plupart de ces cinéastes avaient déjà entamé leur carrière quand ils ont réalisé les films que nous évoquons (c’est le cas pour Lee Daniels, auteur d’un film à succès Precious et Ava Du Vernay) et certains d’entre eux s’étaient déjà signalés dans des projets engagés : c’est le cas en particulier de la réalisatrice de Selma, qui se revendique comme cinéaste noire, en y ajoutant la dimension féministe (elle ne craint pas d’affirmer : « I’m a black woman filmmaker. ») . Pour Steve MC Queen, d’abord plasticien, il s’est déjà fait remarquer par deux films très particuliers, Hunger qui raconte la grève des militants irlandais à l’époque de Margaret Thatcher (2008) et Shame, la chronique sexuelle d’un yuppie new-yorkais (2011). Quand on lui demande en quoi il est concerné par l’esclavagisme aux États-Unis, le cinéaste, dont les parents viennent de la Grenade, estime que ce fut un phénomène mondial. Comme il le dit justement, « il se trouve que le bateau de mes ancêtres (esclaves) est allé vers la droite alors que d’autres membres de ma famille allaient vers la gauche »…Par contre, Justien Siemin est un tout jeune réalisateur, qui a surtout des courts métrages à son actif. Souvent comparé à Spike Lee qui, en son temps, avait aussi tourné une comédie remarquée (Nola Darling ), il se veut l’héritier plutôt d’Ingmar Bergman et de Woody Allen (ce qui ne doit pas faire vraiment plaisir au réalisateur de Do the right thing). En tout cas, ces quatre metteurs en scène abordent des sujets sensibles dans la communauté afro-américaine, de l’esclavage au XIX° à l’intégration contemporaine dans les universités, en passant par la lutte pour les droits civiques des années 1960. Plusieurs de ces films ont provoqué des débats aux États-Unis mêmes : en particulier , Selma a été critiqué par certains, et notamment sur le rôle du président Johnson.
Au delà de ces quelques remarques, il nous semble que plusieurs choses peuvent être relever. D’abord, la plupart de ces films n’hésitent pas à mettre en scène des conflits à l’intérieur de la communauté noire : dans Le Majordome, Cecil Gaines se heurte à son propre fils, écœuré de la « lâcheté » de son père face aux Blancs : dans Twelve Years a slave, Solomon n’est pas solidaire des plus radicaux de ses compagnons d’infortune : dans Selma, le film nous montre bien les discussions âpres qui ont pu exister entre les dirigeants du mouvement des droits civiques, à propos de la stratégie à adopter…Enfin, dans Dear white people, l’égérie des étudiants noirs Sam White s’oppose directement à Troy Fairbanks, fils du responsable noir de l’université…Ainsi, les afro-américains apparaissent bien divisés, souvent entre les plus radicaux et ceux partisans d’une soumission apparente (l’accusation d’oncletomisme est souvent implicite, parfois explicite comme dans Le Majordome ou Dear White people...). On peut d’ailleurs relever que dans ces films, les personnages « raisonnables » semblent, tout compte fait, l’emporter…et la solution la plus radicale est toujours un échec (le radicalisme du fils de Cecil Gaines n’aboutit à rien, pas plus que l’activisme des amis de Sam dans Dear white people).
Il est un autre point à noter : en aucun cas, les « héros » de ces films ne sont présentés comme infaillibles et monolithiques : ce sont des personnages fragiles avec leurs doutes, parfois leurs faiblesses, parfois même leur lâcheté…Le majordome Cecil Gaines a bien du mal à se dégager de sa mentalité de domestique, Martin Luther King se montre en privé bien hésitant, Solomon fait profil bas devant ses maîtres et ne se laisse pas tenter par des solutions radicales, comme prendre la fuite ou se rebeller…Même dans Dear White people, Sam, qui est métisse, redécouvre à la fin du film son ascendance blanche et délivre un message de tolérance (est-ce un clin d’œil entendu envers Barak Obama?). Leurs personnages ne sont pas toujours montrés à leur avantage : ainsi dans Selma, une séquence vers le début du film, nous montre les dirigeants noirs en train de discuter de la stratégie à adopter face aux racistes blancs. On a -un temps- l’impression que Martin Luther King espère une réaction violente des autorités locales pour obtenir une plus grande audience médiatique…En bref, un leader plutôt manipulateur, même si c’est pour la bonne cause ! On est bien loin des personnages superhéros blacks des films de la Blackexploitation , comme ceux de Melvin Van Peebles (Sweet Sweetback’s Baad Asssss Song) Gordon Parks (Shaft) : récemment, c’est Quentin Tarrantino, qui a réactualisé ce type de personnage dans Django Unchained…
Ce qui semble certain, c’est que ces cinéastes abordent la question raciale avec plus de liberté (?) que leurs collègues « blancs » : ils n’hésitent pas à présenter une communauté afro-américaine divisée, des personnages complexes et ambigus…C’est cette épaisseur psychologique et historique qui fait l’intérêt de leurs films. On n’est plus à l’époque des années 1950 et 1960 où les acteurs noirs comme Sidney Poitier ou Harry Belafonte revendiquaient des rôles « positifs » pour les membres de leur communauté. On n’est pas non plus à l’époque de Spike Lee, dont les films pouvaient sembler manichéens à certains : à travers plusieurs de ses longs métrages (Do the right thing, Jungle fever, Malcom X...), le mélange des communautés y est présenté comme impossible et de toute façon pas vraiment souhaitable…Il semble bien que les cinéastes noirs aient passé un cap et qu’ils abordent aujourd’hui des questions sensibles, y compris dans leur propre communauté, avec une vision plus distanciée. Une certaine critique française reconnaît que ce sont des œuvres utiles, et nécessaires, pédagogiques (!), mais leur reproche leur classicisme, leur retenue , leur volonté d’arranger tout le monde. On peut trouver cette opinion un peu condescendante et surtout décalée par rapport à la réalité américaine : ce regard des cinéastes noirs a le mérite de proposer une vision nouvelle sur leur propre histoire, sans tomber dans le manichéisme qu’on aurait été prompt à leur reprocher.
Pascal Bauchard
(4 avril 2015)
ne pas oublier que ce n’est pas une nouveauté ; ainsi pour contribuer
1. un article sur le site » slate.fr » sur l’historique du sujet
« Depuis les débuts du cinéma, des pionniers noirs ont imaginé un monde meilleur pour leurs pairs, souvent en avance sur la réalité de l’époque.
Aux Etats-Unis, le mois de février est aussi le mois de l’histoire des noirs. Mais février 2010 n’est pas un mois comme les autres: il marque également le centième anniversaire du cinéma noir. Ce cinéma n’a pas attendu Carter G. Woodson et sa «Semaine de l’histoire des noirs» (inaugurée en 1926) pour faire partie de l’histoire afro-américaine. Et il a à nouveau marqué l’histoire cette année, lorsque Precious a été nominé pour l’oscar du meilleur film. C’est la première fois qu’un film réalisé par un afro-américain est nominé pour la récompense suprême. Le réalisateur, Lee Daniels, marche dans les pas de William D. Foster et Oscar Micheaux.
On dit souvent qu’Oscar Micheaux est le père des cinéastes afro-américain. Mais William D. Foster a commencé à produire ses films dix ans avant que Micheaux ne tourne sa première œuvre. En 1910, Foster, alors journaliste sportif au Chicago Defender, créé la Foster Photoplay Company: le premier studio de cinéma afro-américain. (Foster connaissait le show-business; il avait été l’attaché de presse de Bert Williams et George Walker, deux stars du vaudeville). En 1912, Foster tourne The Railroad Porter. Le film rend hommage aux «Keystone Kops» et à leurs scènes de course-poursuites burlesques; on peut également y voir un début de réflexion sur la représentation – systématiquement dégradante – qu’offrait des afro-américains le cinéma d’alors.
Stéréotypes raciaux
Trois ans plus tard, D. W. Griffith tourne The Birth of a Nation (1915), une fable historique racontant les périodes ayant précédé et suivi la Guerre de Sécession; les stéréotypes raciaux véhiculés par ce film ont encore cours dans l’Amérique d’aujourd’hui. On y voit des législateurs noirs, peu après la guerre: ils sont pieds nus, mangent du poulet frit, sifflent du whiskey, ne cachent pas leur attirance pour les femmes blanches – et finissent par faire voter une loi stipulant que tout législateur doit porter des chaussures. Ajoutez une mamma acariâtre, un mulâtre au destin tragique, un jeune meurtrier, des violeurs noirs, un lynchage… et vous obtiendrez ce qui demeure, hont à nous, l’un des films les plus respectés de l’histoire.
En 1916, deux frères, George Perry Johnson et Noble Johnson (un acteur sous contrat chez Universal Pictures), décident de fonder la Lincoln Motion Picture Company. C’est une réponse à The Birth of a Nation. Ils tournent alors plusieurs mélodrames destinés à la classe moyenne, comme The Realisation of a Negro’s Ambition (1916), The Trooper of Troop K (1917), sans oublier leur film le plus célèbre, The Birth of a Race (1918). Dans les films des frères Johnson, on peut voir des soldats, des familles, des héros afro-américains – autant d’entités jusqu’alors presque absentes du grand écran.
Oscar Micheaux leur emboîte le pas avec The Homesteader (1919), et devient vite le réalisateur le plus prolifique de son époque. Il tourne plus de quarante films, notamment Within Our Gates (1920), Body and Soul (1925) – avec la star Paul Robeson – et God’s Step Children (1938). Les œuvres de Micheaux explorent les problèmes de son temps: les afro-américains à peau claire qui tentent de se faire passer pour des Blancs, les lynchages, la religion, les comportements criminels. Il demeure indépendant jusqu’à la faillite, en 1928; il signe ensuite avec des investisseurs blancs pour fonder la Micheaux Film Company. D’aucuns pensent que cette décision affectera le ton et la réalisation du reste de son œuvre.
Les films de Micheaux furent au centre de plusieurs controverses. Certains critiques de cinéma afro-américains n’aimaient pas sa façon de représenter les noirs; ses œuvres véhiculaient selon eux les mêmes stéréotypes raciaux que les grandes productions de l’époque. On ne trouve rien de tout cela dans les œuvres d’Eloise Gist, une cinéaste afro-américaine qui réalisa plusieurs films religieux avec l’aide de son mari, James. Gist était originaire de Washington. Elle se baladait avec sa caméra; n’employait pas d’acteurs, chaque rôle étant interprété par une «vraie personne». Ses films à morale (Hellbound train et Verdict: Not Guilty) sortent en salle en 1930, avec le soutien inconditionnel de la NAACP [National Association for the Advancement of Colored People].
Les premiers réalisateurs noirs voulaient montrer les afro-américains dans toute leur humanité; les histoires et les thèmes choisis avaient souvent pour but de dénoncer les préjugés racistes en vigueur. Aujourd’hui, la plupart de ces œuvres sont difficiles à trouver; l’image et le son sont souvent de mauvaise qualité; et pour cause. La tâche de ces cinéastes n’était pas des plus simples: il leur fallait – littéralement – créer un film à partir de rien.
L’Ecole des réalisateurs noirs
Le cinéma afro-américain de la première heure est un élément important de la culture américaine: il a mis en scène notre histoire, nos histoires; il leur a donné vie. Sans le mouvement des réalisateurs noirs indépendants, il y aurait bien peu de films afro-américains aujourd’hui. Où en serait le cinéma si l’Ecole des réalisateur noirs de Los Angeles n’avait pas existé? Ces cinéastes des années 1970 (Haile Gerima, Charles Burnett, Larry Clark, Pamela Jones, Jamaa Fanaka, Julie Dash, Billy Woodberry, Alile Sharon Larkin) sont tous passés par l’Université de Los Angeles. Leurs films offrent une grille de lecture intellectuelle et culturelle de l’histoire afro-américaine; ils associent représentations de la vie quotidienne et combats politiques.
Certains pensent que Sweet Sweetback’s Baadasssss Song (Melvin Van Peebles, 1971) était révolutionnaire; d’autres ont pu affirmer qu’il relevait plutôt de la pornographie. Van Peebles a réalisé ce film culte pour 500.000 dollars; il en a rapporté 10 millions. Sans «Sweet Sweetback», Gordon Parks Jr., Ossie Davis, et bon nombre d’autres réalisateurs noirs n’auraient jamais pu se faire une place pendant l’époque de la «blaxpoitation». Cette période controversée a (dans ses débuts, du moins) donné leur chance à plusieurs acteurs, cinéastes et musiciens afro-américains. C’est aussi pendant la blaxpoitation que l’un des films les plus profonds de l’époque a fait son apparition: The Spook Who Sat by the Door, d’Ivan Dixon et de Sam Greenlee (1973). Le film donnait une voix et une image à l’idéologie du black power, alors en pleine évolution; chronique décomplexée d’une révolte en gestation, il s’empare – littéralement – des outils du maître pour démolir la demeure du maître. [Référence à un discours de la poétesse afro-américaine Audre Lorde: «On ne démolira jamais la maison du maître avec les outils du maître».]
Il y a peu encore, la plupart des Américains ne pensaient pas voir un président noir à la tête des Etats-Unis de leur vivant. Mais ce qui demeurait inconcevable pour certains existait déjà dans l’imaginaire des réalisateurs noirs. Dans The Man (1972), James Earl Jones est Douglass Dilman, un afro-américain devenu président des Etats-Unis après la mort soudaine du chef de l’Etat et du président de la Chambre des représentants (le vice-président est quant à lui trop malade pour assurer la fonction). Jones joue à merveille, et nous transporte au cœur de cette lutte pour le pouvoir et l’identité; un film culte, qui met à nu le rôle complexe que peuvent jouer classe sociale et couleur de peau dans le Bureau ovale.
Cinéma social
Dans l’histoire afro-américaine, le cinéma noir et les problèmes sociaux sont souvent allés de pair. Les controverses qui entourent les films de Tyler Perry et de Lee Daniels trouvent souvent leur origine dans les problèmes de classe; à son époque, Oscar Micheaux en avait déjà fait l’expérience. Les cinéastes noirs ont brisé nombre de barrières – mais il en reste beaucoup à abattre. Cheryl Boone Isaacs est par exemple la seule afro-américaine siégeant au comité directeur de l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences. Certains cinéastes noirs – Antoine Fuqua, F. Gary Gray… – se sont certes essayés à plusieurs genres différents (films d’actions, thrillers), mais des réalisatrices comme Kasi Lemmons (Eve’s Bayou) et Euzhan Placy (A Dry White Season) n’ont, jusqu’ici, pas eu cette chance.
Le cinéma afro-américain a toujours imaginé une réalité dont nous ne pouvions même pas rêver. Maintenant que la réalité rattrape nos films, il sera intéressant de suivre leur évolution (en particulier en ce qui concerne le cinéma indépendant). Lorsque Zoe Saldana, Laz Alonso et CCH Pounder sont à l’affiche d’un film comme Avatar, le concept même de «cinéma noir» se doit d’être redéfini.
Le cinéma afro-américain évolue, et va continuer d’évoluer. Il n’a pas vu le jour avec Tyler Perry, et il existera sans lui. Il n’y aurait jamais eu de Denzel Washington sans Sidney Poitier; et il n’y aurait pas eu de Sidney Poitier sans Paul Robeson. Pas de Hale Berry sans Dorothy Dandridge, pas de Dorothy Dandridge sans Lena Horne, et de Lena Horne sans Fredi Washington. Pas de Hughes Brothers sans Johnson Brothers; pas de Lee Daniels sans Spike Lee. Pas de Gina Prince-Bythewood sans Darnell Martin. Et il n’y aurait pas non plus de Tyler Perry Company si la New Millenium Studios n’avait pas existé; pas eu de New Millenium Studios sans Third World Cinema.
Comme dans la plupart des secteurs d’activité, les afro-américains ont durablement influencé le cinéma des Etats-Unis – et ce sur le plan narratif, stylistique, historique, thématique, économique et esthétique. Certains parlent de la mauvaise qualité de l’image et du son (surtout lorsqu’il s’agit des films afro-américains de la première heure); en ce qui me concerne, je préfère parler d’une esthétique de la survie – faire de son mieux avec ce qu’on a. Maintenant que nous avons un siècle de films à notre actif, nous ne pouvons que nous améliorer. Les films afro-américains vont peut-être changer; mais quoi qu’il arrive, ils ne cesseront jamais de remettre la société en question.
Alors que nous entrons dans une nouvelle décennie, et que tant d’Américains semblent penser que le concept de race perd peu à peu de son importance, on pourrait aisément oublier la longue histoire de ce cinéma – oublier qu’il a donné une voix et une image aux problèmes, aux interrogations de notre communauté.
Le cinéma noir, c’est l’histoire des noirs – et c’est notre futur. »
Nsenga Burton
Traduit par Jean-Clément Nau
2. un site entièrement consacré au sujet : http://www.afro-style.com/realisateurs.php
sur les réalisateurs noirs actuels
mais aussi les acteurs, les films…
3. ne pas oublier les dizaines de films de la Blackxploitation des années 70 (Shaft n’est que le plus connu) souvent pas bons, pas forcément réalisés par des noirs… mais gros intérêt sociologique sur les préoccupations de la communauté noire dans ces années là (certains sont disponibles en DVD par exemple ceux avec Pam Grier actrice redécouverte par Tarentino dans « Jackie Brown »)
donc les 4 films cités sont un petit ensemble même si on peut y voir une unité thématique