Bande de filles, Céline Sciamma
Les héritiers, Marie-Castille Mention-Scharr
Qu’Allah bénisse la France ! Abd Al Malik
A 14 ans, Hélène Zimmer
Max et Lenny, Fred Nicolas
Pour ma première chronique, je voulais revenir sur plusieurs films vus depuis l’hiver dernier, qui ont pour point commun d’évoquer , d’une façon ou de l’autre, le thème de la jeunesse, de l’école : il se trouve que ces films recoupent un des sujets que j’ai été amené à traiter en cours, à savoir le paysage de banlieue au cinéma, pour des élèves de Terminale, dans le cadre de l’histoire des Arts.
Le premier d’entre eux, Bande de filles , est l’œuvre d’une cinéaste, Céline Sciamma, qui s’était déjà intéressée à la période de l’adolescence dans Naissance des pieuvres (et de l’enfance dans Tomboy). Dans le cas de son dernier long-métrage, elle s’attache à faire la chronique d’une bande de jeunes filles de banlieue, qui ont en commun d’être noires…et d’être de superbes jeunes filles ! C’est d’ailleurs une des réussites du film de Céline Sciamma, qui semble avoir été fascinée par leur allure (on ne peut s’empêcher de penser au slogan de certains Afro-américains aux États-Unis dans les années 1960, » Black is beautiful! » ) : la caméra semble glisser sur elles avec une grande sensualité..Dans la première partie du film, on aurait pu craindre un portrait un peu réducteur : ces jeunes filles ont un côté bling-bling presque exaspérant mais Céline Sciamma se charge de nous rappeler les problèmes très concrets qu’elles rencontrent.. Elles ne sont pas toujours présentées de manière très avenante : par exemple, elles n’hésitent pas à racketter les autres élèves du collège….Au tout début du film, Marieme, la principale héroïne, est face à une conseillère d’orientation, qui tente de la convaincre d’aller faire un BEP aux débouchés incertains, alors que la jeune fille s’obstine à vouloir aller au lycée général : une situation que beaucoup d’enseignants auront connu dans leur carrière. De même, la fin du film est amère, car les quatre collégiennes se sont bien révoltées contre le rôle qu’on voulait leur imposer, mais le succès est incertain : elles se rêvent en « princesses pop et sexy, émouvantes reines du dance floor,» (Télérama) mais la vie se charge de les rappeler à la réalité.
Les héritiers, a connu un certain succès, et en particulier dans les salles des professeurs. Il est difficile de résister à cette histoire, édifiante pour le moins, d’une enseignante d’histoire géographie qui réussit à motiver une classe d’élèves « laissés pour compte » en les faisant participer au concours de la Résistance. Le scénario se présente comme « une histoire vraie » et il a été écrit par l’un des élèves qui ont participé à cette expérience. De fait, on ne peut que soutenir la démarche du professeur qui réussit à la fois à sensibiliser ces jeunes adolescents aux horreurs du système concentrationnaire nazi et aussi à leur donner confiance en eux-mêmes. La scène, où l’ancien déporté vient s’adresser à la classe m’a rappelé des souvenirs très précis, lorsque Monsieur Jean Samuel était venu dans notre collège pour évoquer la figure de Primo Levi, avec qui il s’était retrouvé au camp d’Auschwitz. Et de fait, j’avais ressenti , chez la plupart de mes élèves, une réelle émotion devant cette « tranche de vie » racontée par un témoin incontestable mais d’une grande humilité ..Le parcours de Mélanie, l’élève rebelle au début du film, qui est finalement touchée « par la grâce » en découvrant la vie de Simone Veil est tout à fait crédible : j’ai été parfois surpris au cours de ma carrière par la façon dont les collégiens « s’initient au monde »…Quelques remarques cependant : la cinéaste rapporte bien la première réaction des élèves lorsque l’enseignante leur propose le sujet du concours : certains se plaignent notamment « qu’on parle encore des Juifs ! ». Dans la réalité, je pense que les débats ont été plus intenses et plus longs que ce qui est montré…De même, la joie des élèves quand ils apprennent qu’ils ont remporté le concours laisse perplexe : est le fait d’avoir gagné – quasiment comme dans une épreuve sportive ? Le sujet les a-t-il vraiment touché ? Leur année scolaire a été réussie grâce à un professeur charismatique mais garderont-ils le même comportement les années suivantes ? Les enseignants savent que certains engouements ou engagements des élèves peuvent être bien éphémères..Mais , au delà de ces réserves, ce film est à voir, ne serait-ce que parce qu’il provoque justement le débat sur ce genre de questions fondamentales.
Pour le film d’Abd Al Malik, Qu’Allah bénisse la France !, on peut aussi en souligner l’aspect édifiant : le cinéaste, qui a vécu une bonne partie de sa vie dans les banlieues difficiles de Strasbourg, présente une œuvre soignée (le noir et blanc utilisé n’est pas sans rappeler l’esthétique développée par Mathieu Kassowitz dans la Haine…). Son parcours paraît exemplaire et il veut clairement montrer qu’une issue est possible à la fatalité des banlieues : le héros du récit insiste sur ce qui lui a permis de s’en sortir, à savoir la religion (l’islam dans sa version soufi), la musique et en l’occurrence le rap, et… l’école (en particulier le soutien d’une enseignante de français, sensible à ses qualités). Reste qu’on peut se demander dans quel ordre ces trois facteurs ont joué dans l’émancipation du jeune homme (mais il est aussi possible qu’il n’y ait pas d’ordre ! ). De même, on s’interroge sur le comportement de cet adolescent, bon et même parfois brillant élève en classe et petit délinquant dans sa banlieue, une double vie sans doute difficile à assumer…
Dans A 14 ans, Hélène Zimmer retrace une année de collège de trois adolescentes, Sarah, Jade et Louise…le film semble bien nous renvoyer à la jeunesse de la réalisatrice, qui ne fait aucune concession. Ce petit monde de collégiens s’exprime très crûment, se montre souvent brutal, ne répugne pas à lever le coude lors de soirées bien arrosées. Les trois sont en conflit ouvert avec leurs parents (l’une d’entre elles se réfugie d’ailleurs chez sa grand-mère). On est frappé par la dureté de cet univers adolescent , où l’école n’apparaît à aucun moment comme une chance, une possibilité d’avenir différent : les trois vont passer leur brevet avec de bonnes chances de l’obtenir (de toute façon, elles pensent que seuls les débiles ratent ce concours!) et envisagent des bacs professionnels pour la suite…Peut-être peut-on estimer que ce portrait d’une génération est caricatural : les personnages ne semblent vraiment concernés que par leurs relations amoureuses et parfois sexuelles (on en parle beaucoup mais on agit peu…) et par leurs rapports souvent très conflictuels avec leurs propres parents. Par contre, on ne peut pas douter de la sincérité de la cinéaste, qui livre ici SA vision d’une adolescence manifestement difficile…
Enfin, Max et Lenny est un film qui se déroule dans les quartiers Nord de Marseille, sur les hauteurs au dessus de la Méditerranée : sans paraphraser la fameuse formule, qui voudrait que « la misère soit plus belle au soleil », le cinéaste réussit quelques plans superbes, d’immeubles délabrés au premier plan mais avec en arrière-plan, une vue sur une mer d’un bleu intense. Le personnage principal, Lenny est une jeune fille en rupture radicale, avec sa famille mais aussi avec l’école : elle rôde seulement aux abords du collège pour y retrouver son amie , jeune congolaise sans papiers, mais il n’est pas question d’y remettre les pieds..C’est en tout cas un personnage féminin volontaire assez inhabituel dans le « cinéma de banlieue », une jeune fille qui n’est absolument pas soumise et qui veut prendre le contrôle de sa vie : en cela, elle est à l’opposé de son amie Max, congolaise sans papiers sous le coup d’une reconduite à la frontière…Comme dans le film d’Abd Al Malik, la musique rap joue un rôle majeur dans son épanouissement, même si ma culture m’empêche d’avoir un avis autorisé sur ce genre musical…
Au total, si on peut s’agacer de quelques clichés, ces quelques films présentent des portraits éclatés de la jeunesse actuelle, mais assez complémentaires et le plus souvent sans complaisance. Dans trois des films cités, les personnages des filles sont au centre des scénarios et ont une véritable épaisseur psychologique : si aucun des films évoqués n’emporte complètement notre adhésion, c’est qu’ils n’évitent pas toujours certaines facilités de ce qui est devenu un genre, le « film de cité ». En vrac, on retrouve dans tous ces films, le parler « jeune », l’omniprésence de la musique rap ou hip-hop.., les inévitables conflits jeunes/parents… Au delà de ces figures de style attendues, ils ont chacun leur « part de vérité » et témoignent de la sincérité et des bonnes intentions de leurs auteurs : comme aurait dit Alain Souchon, « c’est déjà ça »…et c’est déjà beaucoup !
Pascal Bauchard
(13 mars 2015)