La première guerre mondiale à l’écran est un sujet bien connu des enseignants de notre région, déjà parce que de nombreux stages y ont été consacrés depuis une vingtaine d’années.
Cette année, ce thème a bien sûr une actualité particulière en raison des activités consacrées au centenaire du début du conflit : des ouvrages sont publiés (en particulier celui de Patrick Brion et François Cochet, La grande Guerre au cinéma), la Cinémathèque française organise une rétrospective d’une soixantaine de films sur le sujet au printemps prochain, des œuvres vont être restaurées (le J’accuse d’Abel Gance dans sa version de 1919), des articles de revue abordent le sujet (le numéro de Positif du mois d’avril publie un dossier sur un siècle de guerre de 1914 ), des conférences sont organisées . Enfin une émission de télévision, Apocalypse : la première guerre mondiale, fait l’événement et remporte un indéniable succès d’audience ( lors de la première soirée, 5, 8 millions de téléspectateurs l’ont regardé, soit 22% d’audience, le score le plus important de toutes les chaînes télévisées ce soir-là…). Mais cette dernière émission a provoqué un débat, que nous traitons par ailleurs. Aussi, peut-on dire que le sujet que nous abordons a été ou va être abondamment traité : depuis les travaux pionniers de Joseph Daniel (Guerre et cinéma, paru en 1972) et de Laurent Veray (Les films d’actualité français dans la grande guerre, publié en 1995), l’intérêt s’est maintenu jusqu’à nos jours.
On peut déjà relever que la guerre de 1914 1918 est l’une des premières guerres à être pour ainsi dire filmée « en direct » : on dispose bien de photos pour la guerre de Crimée (1853-1856), la guerre de Sécession (1861-1865) ,et de quelques images de la guerre russo-japonaise en 1904-1905 mais c’est sans doute le premier conflit à avoir bénéficié d’une telle « couverture » par le cinéma. Aussi, voici quelques repères pour mieux comprendre comment la première guerre mondiale a été représentée à l’écran depuis l’époque du conflit lui-même.
Les actualités pendant le conflit : les contraintes de la propagande
Alors que le cinéma existe depuis une vingtaine d’années, il est clair que toutes les sociétés cinématographiques qui tournaient depuis des bandes d’actualité (en France, Gaumont, Eclair, Pathé…) ont voulu rendre compte des événements militaires dès le début du conflit mais se sont vite heurtées à de nombreuses difficultés. D’abord, les conditions de tournage sont particulières : d’un point de vue technique, les opérateurs ont des caméras très lourdes, peu maniables sur un champ de bataille : leurs caméras pèsent près de 25 kilos et doivent placées sur un trépied immobile : ils ne peuvent emporter que 120 mètres de pellicule, soit 4 minutes de film « utiles » (dans les soi-disant « documentaires », tout travelling qui suit une attaque des soldats, est bien sûr éminemment suspect ). Les scènes « au cœur du combat » sont presque impossibles à réaliser, sans que les opérateurs prennent des risques inconsidérés.
De plus, tous les états belligérants ont mis en place, plus ou moins rapidement, une censure vigilante. En France, les autorités militaires ont mis du temps à comprendre l’intérêt de la présence de caméramans sur le front. Pétain accueille ces derniers avec brutalité : « nous nous battons, messieurs, nous ne nous amusons pas !». Progressivement, les gouvernements mettent en place des organismes chargés de photographier et de filmer les combats, mais bien sûr sous contrôle ! En France, le service cinématographique des armées est créé en février 1915 et ne compte alors que 4 opérateurs, un pour chaque société (Pathé, Gaumont, Éclair, Éclipse). Il devient le SCPA en 1917 (Service cinématographique et photographique des Armées). A la fin de la guerre, le service compte une cinquantaine d’opérateurs répartis sur tous les fronts : 250 000 mètres de pellicules (soit 930 films sur la durée du conflit) ont été filmés mais près d’un bon tiers a été « mis de côté» par la censure militaire : pas de morts déchiquetés par les obus, de « gueules cassées », de soldats devenus fous par des bombardements intenses….Les images présentées sont surtout des images des destructions causées par la « barbarie de l’ennemi », des défilés militaires, souvent avec remises de médailles, des petites « scènes » de propagande, assez grossièrement mises en scène (le général Pétain, finalement convaincu de l’intérêt d’une telle démarche, est montré goûtant la soupe et le « pinard » au milieu des poilus). En tout état de cause, aucune opération militaire n’est filmée avant l’année 1916…(toutes les séquences sur la bataille de la Marne ont été soit reconstituées, soit reprises de manœuvres filmées avant guerre). Certaines séquences ont pu être filmées discrètement , par les combattants eux-mêmes, comme ce petit film d’une quinzaine de minutes, Après les combats de Bois le Prêtre, que l’historien Laurent Veray a sorti de l’oubli récemment (quelques images avaient déjà été montrées dans le documentaire 14-18 , de Jean Aurel de 1963) : selon les recherches de l’historien, cette séquence, qui montre notamment des soldats français entasser sans ménagement des cadavres sur une charrette après une attaque meurtrière, aurait été tournée par un cinéaste amateur, le sergent Gal-Ladevèze en juin 1915, à une époque où les autorités n’étaient pas encore très vigilantes : par la suite, la surveillance a dû être plus efficace : ceci dit, comme on le sait pour les photographies, les soldats ont pris des images « volées » , à l’insu de leur hiérarchie, avec les moyens du bord (notamment les premiers appareils Kodak très maniables) jusqu’à la fin du conflit …
En Allemagne, l’armée laisse quelques opérateurs filmer les opérations militaires, en particulier sous la direction d’Oskar Messter, avec le même soin vigilant quant à la diffusion d’images qui pourraient démobiliser l’opinion publique : au début de l’année 1917, est créé le BUFA (Bild und Filmant), chargé de la fabrication de toutes les actualités de guerre, bientôt contrôlé par le ministère de la guerre.. Enfin, en décembre 1918, le général Ludendorff, sensible au pouvoir des images, est à l’origine de la création de l’UFA (Universum Film AG) dans le but clairement assumé de développer la propagande politique auprès de la population.
En Grande-Bretagne, les autorités mettent en place le British Topical Commitee for War films (commission des questions d’actualité britannique pour les films de guerre) : les opérateurs britanniques réalisent notamment un film documentaire de près d’une heure, The battle of Somme en 1916, qui crée un impact certain sur les 20 millions de spectateurs anglais qui le voient au cours des 6 premières semaines de diffusion : ils peuvent découvrir la dureté des combats, dont ils n’avaient pas encore l’idée : en particulier, plusieurs scènes très émouvantes montrent les corps des soldats à moitié enterrés dans la boue des tranchées.
Sur tous ces aspects, Laurent Veray a réalisé en 2003 un excellent documentaire, L’héroïque cinématographe, qui présente et contextualise de nombreux extraits de films de propagande tournés par les services français et allemand.
Les fictions du temps de guerre : l’obligation patriotique
En ce qui concerne les films de fiction réalisés au cours du conflit, le problème est déjà d’accéder à une production importante mais difficile d’accès, beaucoup de copies ayant disparues. La thèse de Joseph Daniel Guerre et Cinéma a su en restituer les constantes : il s’agit essentiellement d’illustrations plates des principaux thèmes de propagande du moment: l’Union Sacrée, l’enthousiasme patriotique de toutes les classes sociales confondues, la gloire du sacrifice individuel ou familial l’efficacité de « la machine de guerre »…
L’héroïsme militaire est vécu comme « sublimation rédemptrice » des passions humaines. Les stéréotypes humains, issus en droite ligne des lectures d’écoliers, s’étalent dans les films : l’infirmière-fille de bonne famille dévouée, l’instituteur patriote, la mère souffrante…Le brave Poilu, affligé de tous les lieux communs populistes – râleur mais courageux, débrouillard et gai luron- et toujours d’un moral à toute épreuve, affronte victorieusement d’affreux Boches, barbares et grossiers. Globalement, comme l’écrit Laurent Veray, ces films présentent donc une vision mythique et nationaliste, bien loin des préoccupations des poilus, qui ont dû être écœurés par cet étalage de bons sentiments et de clichés chauvins (comme le relève Marcel Oms, « Avec le recul du temps, l’excès de sottise déconcerte »…)
Aux États Unis, les studios de Hollywood, reflet en cela de l’opinion publique américaine, restèrent neutralistes. En 1916 encore, Thomas Ince s’était livré dans le grand film Civilisation, à une dénonciation en règle des malheurs de la guerre. Mais l’entrée en guerre des États Unis devait provoquer un retournement général : de grands artistes firent campagne pour soutenir la mobilisation, Douglas Fairbanks, Chaplin, et bien d’autres. Et une vague de films au propos sans équivoque – La fin des Hohenzollern ou La bête de Berlin– furent réalisés. Les scénaristes s’en donnent alors à cœur joie, pour représenter des soudards teutons, souvent entre deux bières, menaçant de leurs appétits libidineux la vertu de courageuses citoyennes américaines, auxquelles Mary Pickford – prête son visage d’ange (The Little American , 1917 ).Cette vague de films patriotiques fut la chance d’un Eric von Stroheim, qui devint incontournable dans les rôles d’abominables officiers prussiens au sadisme sophistiqué, obtenant ainsi le qualificatif de » l’homme que vous aimerez haïr » . En 1918, D. W Griffith réalise Les cœurs du monde, avec son actrice fétiche Lilian Gilsh ,mélodrame très anti-allemand : il est à noter que le réalisateur s’est rendu sur les champs de bataille en France et qu’il a tourné plusieurs séquences sur place : il va finalement renoncer à utiliser ce qu’il a filmé et préfère revenir en Californie pour reconstituer les tranchées…en studio.
Dans cette production très normalisée, un film détonne : c’est celui réalisé par Charlie Chaplin, Shoulder arms (Charlot soldat), qui sort en octobre 1918. Une polémique nourrie par certains journaux anglais s’était engagée à propos de Chaplin, citoyen britannique, en âge de prendre les armes mais qui n’avait pas cru bon de rejoindre l’Europe et de participer aux combats. Celui-ci se décide à faire un film sur le conflit, malgré Cecil B. DeMille et Douglas Fairbanks, qui lui déconseillent de poursuivre ce projet car ils trouvent le sujet trop sensible. Mais Chaplin s’obstine et le film remporte un réel succès (dans le même temps, avec ses amis Mary Pickford et Douglas Fairbanks , il mène une campagne active pour que la population américaine souscrive à des emprunts pour financer la guerre, les Liberty bonds, notamment en tournant un petit film de propagande, où on le voit assommer le kaiser !). Le court métrage de Chaplin constitue une peinture très réaliste de la vie des tranchées (la boue, la pluie, les rats…) y compris dans leurs aspects psychologiques (des soldats accablés par la solitude, la déprime, la dureté des combats). Pour certains, Charlot soldat est même une critique implicite des films de propagande (quand le soldat Charlot explique à son supérieur comment il fait pour faire autant de prisonniers alors qu’il était seul, il lui rétorque : « je les ai encerclé »..). La fin du film (« paix aux hommes de bonne volonté ») peut être considérée comme conforme à l’idéal wilsonien. En tout cas, le film de Chaplin est projeté dans les hôpitaux militaires, pour redonner du moral aux combattants blessés, et avec succès.
Le cinéma de fiction entre les deux guerres : réalisme et pacifisme
Au lendemain de la guerre, le cinéma se montre discret, ne serait-ce que pour respecter le temps du deuil. Une exception mais elle est de taille, le brûlot d’Abel Gance, J’accuse, sorti en 1919. Comme l’écrit Patrick Brion, c’est tout à la fois « un mélodrame, un pamphlet contre la guerre, un poème baroque et lyrique ». Parmi les scènes extraordinaires imaginées par le cinéaste, on retiendra celle où les morts sortent de leurs tombes pour demander des comptes, notamment à ceux de l’arrière…
La production sur le sujet reprend ensuite, à la fin du muet (La Grande Parade, Verdun, vision d’histoire) et dans les années 1930, alors que le cinéma parlant s’impose petit à petit (la sonorisation des films permet de bien rendre compte des explosions assourdissantes des bombardements, du crépitement des mitrailleuses, …). A cette époque, de grands réalisateurs produisent des films qui ont marqué le public, par leur réalisme et leur message politique. Sans être exhaustif, on peut ainsi citer Quatre de l’infanterie de Willhem Pabst (1930), A l’ouest rien de nouveau, de Lewis Milestone (1930) Les croix de bois de Raymond Bernard (1931)…
Au delà de leur origine nationale, ces films, souvent inspirés d’œuvres littéraires, présentent quelques points communs. D’abord, le cinéma de l’époque est obligé de rendre compte de la réalité des combats et des conditions de vie des soldats : trop de témoins ont participé aux combats pour qu’on leur propose une version édulcorée de la guerre (en France, 45% de la population masculine sont des anciens combattants). Beaucoup d’acteurs ou de cinéastes ont connu le conflit (Raymond Bernard, Jean Renoir, Charles Vanel, Lewis Milestone, …). Un exemple bien connu est le film inspiré par le roman de Roland Dorgelès, Les croix de bois, sorti en 1919. L’auteur du livre, le cinéaste Raymond Bernard et plusieurs interprètes sont des anciens combattants : le tournage a lieu sur les champs de bataille proches de Reims, la dureté des combats et des conditions de vie sont montrées avec un réel souci d’authenticité. Ainsi, une des séquences du film représente une attaque depuis les tranchées françaises avec un soin du détail tout particulier pour le son : pendant près de 12 minutes, les poilus se ruent dans le no man’s land, alors que l’artillerie déclenche de violents bombardements sur les lignes adverses : une fois sortis des tranchées, les « poilus » sont pris par le feu des mitrailleuses allemandes. L’attaque des combattants est filmée en travelling latéral, comme si le spectateur était au cœur des combats…Le ton est patriote mais vraiment sans excès : l’un des soldats avoue après une bataille acharnée dans un cimetière, « ma victoire, c’est de survivre ». Ainsi, tous les films de l’époque, de La Grande Parade jusqu’au film de Raymond Bernard présentent une reconstitution crédible de la vie dans les tranchées, de la fureur des combats, parfois à la limite de l’horreur (on se souvient de ce plan de deux mains coupées agrippant un barbelé dans A l’ouest rien de nouveau). Par contre, il n’est encore pas question de remettre en cause la hiérarchie militaire et d’évoquer les mutineries dans l’armée française : Dorgelès qui avait prévu une scène où un soldat français était exécuté pour pillage (!) doit renoncer car les producteurs craignent la censure…
le film de Pabst, Quatre de l’infanterie, évoque aussi, dans quelques scènes assez réussies, les rapports parfois difficiles entre les combattants et ceux de l’arrière. On voit ainsi les bons bourgeois va-t-en guerre, les ménagères qui font la queue et se plaignent du ravitaillement, le soldat allemand qui rentre à l’improviste et trouve sa femme dans les bras d’un autre…Parfois, dans certains films, on trouve une critique plus ou moins explicite des gouvernements : dans A l’ouest , rien de nouveau, Paul Baumer, Katz et ses camarades discutent de la responsabilité de la guerre et certains d’entre eux mettent en cause l’empereur, les généraux, les industriels « qui ont besoin d’une guerre » : ils suggèrent plaisamment que les dirigeants s’expliquent entre eux à coups de massue ; Un peu plus tard, Paul tient un discours quasiment défaitiste devant de jeunes lycéens, en rupture totale avec la rhétorique guerrière de son ancien professeur (au début du film, ce même enseignant avait convaincu Paul et ses camarades de précéder l’appel, pour défendre au plus vite leur chère Patrie…). Il finit par déclarer qu’ « il vaut mieux ne pas mourir du tout que mourir pour sa patrie », provoquant l’indignation de son auditoire.
Un autre thème se retrouve dans de très nombreux films de l’entre deux guerres, à savoir le pacifisme et le rapprochement entre des peuples autrefois ennemis. Il faut dire que le contexte international est alors favorable : le pacte Briand-Kellog, également signé par le chancelier allemand Stressemann en 1928, vise « à mettre la guerre hors-la-loi ». En France, les anciens combattants, selon les travaux d’Antoine Prost, sont à l’évidence très sensibles aux idées du pacifisme…Un des films qui développe ce thème et qui a marqué les esprits, est celui de Léon Poirier, Verdun, vision d’histoire, qui sort en 1928. Le réalisateur, qui eu l’idée de son film après l’inauguration de l’ossuaire de Verdun en 1927, retrace la célèbre bataille en racontant l’histoire de personnages emblématiques, un français et un allemand, en utilisant des séquences filmées par les opérateurs du SCPA, en reconstituant certaines scènes de bataille…(ces séquences ont été depuis recyclées comme documents d’époque). Le film de Poirier s’attache déjà à nuancer l’image du « boche » : il fait bien la distinction entre la caste militariste prussienne et le soldat allemand de base, qui finit par se libérer des ses chaînes (au sens propre!). Surtout, il insiste sur les souffrances partagées par les combattants des deux camps. Dans une séquence très forte, dans une ambiance crépusculaire, une mère française et une mère allemande emmènent ensemble les corps de leurs enfants (cela dit, tous les esprits ne sont pas prêts à une telle réconciliation : la scène mentionnée est sifflée par le public lors de la première à l’Opéra de Paris). Dans de nombreux films, on évoque ce rapprochement entre les peuples : dans A l’Ouest, rien de nouveau, Paul passe une nuit dans un trou d’obus près du cadavre du soldat français qu’il vient de tuer, en s’excusant d’en être arrivé là (!). Dans Quatre de l’infanterie, Hans, le jeune conscrit allemand, s’éprend d’Yvette, une jeune cantinière française : à la fin du film, il agonise près d’un soldat français, à qui il tient la main…Dans Les croix de bois, le personnage principal Gilbert se laisse séduire par le chant d’un jeune allemand en train de chanter un lieder de Schumann…
Aux États-Unis, on peut remarquer un autre thème intéressant repris dans plusieurs films américains : il s’agit de la difficile reconversion des vétérans de la première guerre mondiale, à leur retour au pays. On trouve nombre de déclassés, qui subissent amèrement l’ingratitude de leur mère-patrie : James Allen dans Je suis un évadé de Mervin Leroy (1932), Tom Holmes dans Héros à vendre de William Wellman (1933) sont des laissés pour compte de la société américaine. Même la comédie musicale s’en mêle : dans Chercheuses d’or 1933 de Mervyn Leroy, une scène intégrée dans une brillante chorégraphie, évoque ces jeunes hommes partis pleins d’enthousiasme, revenus épuisés et blessés, et qui vont grossir les files d’attente de chômeurs aux soupes populaires à l’époque de la crise de 1929 Aucun triomphalisme donc dans cette version hollywoodienne de la guerre et qui renvoie aux très nombreux films tournés dans les années 1970 sur le retour des soldats américains de la guerre du Vietnam : elle correspond bien aux sentiments profondément isolationnistes d’une grande partie de la population américaine : cette guerre avait-elle vraiment un sens pour nos boys ? Comme on le sait, Hollywood à la fin des années 1930 prendra un certain temps avant de prendre en compte la nouvelle menace venue d’Allemagne…
Enfin, en URSS, l’angle d’attaque est bien évidemment différent : les cinéastes qui ont traité ce sujet semblent offrir une version illustrée des thèses de Lénine sur le conflit (« L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », publié en 1917) : La chute de Saint-Petersbourg de Vsevolod Poudovkine (URSS,1926) , et Arsenal de Dovjenko (1929) sont de belles réussites esthétiques. La dénonciation de la guerre n’y est pas liée à un pacifisme humanisme, mais à une attaque en règle du capitalisme fauteur de guerre. Une superbe séquence de Poudovkine montre en montage alterné, la violence d’un assaut dans les tranchées et une ruée de boursicoteurs à la corbeille de Petrograd : à l’issue de cette séquence, un carton indique : « la transaction est terminée : les deux parties sont satisfaites » sur des images de cadavres dans la boue puis on enchaîne : « trois ans : toujours et encore de la chair à canon »…Mais le cinéma soviétique est encore assez varié à l’époque pour proposer un regard très décalé la guerre : en 1933, Boris Barnet réalise Okraina, film qui évoque le conflit sur un ton ironique, y compris dans les scènes de guerre !
Veillée d’armes: les hésitations de l’avant guerre
A la veille de la seconde guerre mondiale, la situation est plus complexe , alors qu’on sent la montée des périls dans toute l’Europe. En France notamment, les idées pacifistes restent prégnantes. Le très célèbre film La Grande Illusion, tourné par Jean Renoir et sorti en 1937, connaît un grand succès populaire. Le message est clair : le cinéaste prône le rapprochement entre Français et Allemands, alors même que les nazis sont au pouvoir. Il s’en explique lors de la présentation du film aux États-Unis en 1938 : « parce que je suis pacifiste, j’ai réalisé La Grande Illusion (…) Un jour viendra où les hommes de bonne volonté trouveront un terrain d’entente (…) Aussi gênant soit-il, Hitler ne modifie en rien mon opinion des Allemands » et d’ajouter qu’il apprécie ce peuple, quelque que soit son gouvernement. De fait, son film insiste sur les solidarités sociales plus que nationales : l’aristocrate de Boeldieu (Pierre Fresnay) s’entend fort bien avec le rigide officier Von Rauffestein, interprété magistralement par Eric Von Stroheim. : ce dernier regrette que leur caste soit bientôt amenée à disparaître. De même, dans la dernière partie, Maréchal (Jean Gabin) file le parfait amour avec la belle paysanne Elsa (Dita Parlo). Nul doute que cette idylle dut faire jaser à l’époque. Mais Renoir est assez subtil pour laisser la porte ouverte à d’autres interprétations, car finalement, les deux prisonniers évadés semblent bien prêts à repartir au combat. Lorsqu’ils sont à la frontière suisse, Maréchal confie à Rosenthal : « nous allons rependre la lutte comme les copains. Il faut bien qu’on la finisse cette putain de guerre, en espérant que c’est la dernière »…Même le rapprochement des peuples a des limites.
Dans sa nouvelle version de J’accuse réalisée en 1938, Abel Gance emploie les grands moyens -y compris les plus grandiloquents-pour faire passer son message pacifiste : dans une séquence hallucinée, les morts de Verdun sortent de leurs tombes et viennent hanter les vivants : l’effet est d’autant plus terrifiant que le cinéaste a recruté pour l’occasion d’authentiques « gueules cassées » dans les hôpitaux militaires, dont les visages meurtris sont comme des masques horribles à contempler. Plus tard, tout le pays s’arrête, comme un lointain écho du mot d’ordre de grève générale que les socialistes comptaient lancer en 1914 pour arrêter la guerre. Enfin, des « États généraux universels » votent que « la guerre est solennellement abolie entre tous les états et le désarmement immédiat est décrété à l’unanimité : la guerre est morte, le monde est rénové ». Et les morts, enfin satisfaits de l’établissement de cette paix universelle, s’en retournent vers l’ossuaire de Douaumont.
Mais, une tendance inverse existe aussi : dans les années qui précèdent le déclenchement du conflit et afin de préparer leur opinion publique au conflit qui s’annonce, certains cinéastes cherchent au contraire à faire ressortir les vieux antagonismes, en utilisant la première guerre mondiale comme référence guerrière. En Allemagne, les films à tendance pacifiste disparaissent, des écrans, pour laisser place à des œuvres d’exaltation guerrière. Ainsi à la suite d’Aurore de Gustav Ucicky (1933), film à la gloire des sous-mariniers, Troupes de choc 1917 de Hans Zoberlein (1934) fait un éloge direct de la valeur militaire et justifie la guerre par un plaidoyer nationaliste.
En France, certains s’en rendent compte et évoquent à nouveau les anciens conflits franco-allemands. D’une manière symptomatique, il s’agit bien de réveiller la méfiance envers un ennemi héréditaire, et non pas de dénoncer un régime totalitaire: on sait combien cette confusion pèsera lourd sur les mentalités françaises. C’est ainsi que Raymond Bernard reprend en 1937, pour le film d’espionnage Marthe Richard au service de la France le cadre de la Grande Guerre : dans la première séquence du film, il ressuscite les stéréotypes anti-allemands : un officier allemand, joué par Eric von Stroheim, avec monocle et fume-cigare, plein de morgue prussienne, fait fusiller comme francs-tireurs les vieux parents de Marthe. Le même cinéaste réalise encore en 1939 Les otages au titre explicite. Julien Duvivier avec Untel Père et Fils met en scène une famille française, qui se bat contre les Prussiens, tout au long des guerres depuis 1870…Aux États Unis, en 1941, Sergent York de Howard Hawks, évoque l’itinéraire d’un « boy » pacifiste, qui devient une figure héroïque exemplaire C’est un appel tout à fait clair à la remobilisation et à l’engagement dans le conflit
Dans les années 1950-1970 : une remise en cause radicale
Après la deuxième guerre mondiale, le contexte historique a évolué : au moment de la guerre froide et des guerres coloniales, une partie importante des milieux intellectuels et artistiques est influencée par les idées de gauche , voire d’extrême-gauche : évoquer la première guerre mondiale peut être utile pour combattre le militarisme au service des grands intérêts économiques…Ainsi, en quelques années, quelques cinéastes, souvent engagés politiquement, ont réalisé des films importants sur le sujet : on peut ainsi citer Stanley Kubrick (Les sentiers de la gloire), Joseph Losey (Pour l’exemple), Francesco Rosi (Les hommes contre), Dalton Trumbo (Johnny s’en va -t-en guerre) : sur les quatre cités, Losey et Trumbo ont été victimes de la chasse aux sorcières, Rosi est un « cinéaste matérialiste » , pour reprendre l’expression de Michel Ciment. Quand il réalise Les hommes contre, il explique qu’il a voulu montrer « à l’intérieur de la guerre, l’oppression d’une classe par une autre, d’une culture par une autre ». Kubrick est plus difficile à classer, même s’il a déclaré avoir réalisé Les sentiers de la gloire par hostilité à toutes les guerres.
Les films renvoient clairement au contexte historique de leur réalisation : si Les sentiers de la gloire ne peut pas être projeté en France, c’est bien que les autorités de l’époque craignaient qu’on fasse des rapprochements avec un autre conflit, la Guerre d’Algérie qui battait son plein. La critique implacable du haut commandement de l’armée française dans le film de Kubrick pouvait faire penser aux spectateurs que les choses n’avaient guère évolué depuis la guerre de 1914. Nicolas Offenstadt, dans son livre sur Les fusillés de la Grande Guerre (1999), précise : « les Sentiers entrent donc en résonance directe avec une actualité problématique. En 1958, l’armée élabore des projets de retour de cours martiales et mène l’offensive contre la loi de 1928, qui accordait nombre de garanties aux prévenus ». Comme l’écrit le journal Libération en 1958 : « entre le bombardement de nos lignes par nos 75 commandés par un général français et le bombardement de Sakhiet (attaque contre cette ville tunisienne par l’aviation en février 1958, qui fait plus de 70 morts) , il n’y a qu’une différence de latitude et de date. Mais le principe et la responsabilité sont les mêmes. Dans les deux cas, c’est pour satisfaire la fraction la plus chauvine de l’opinion et du Parlement qui réclament des succès, que ces deux crimes ont été ordonnés ou commis ». Et de fait, le gouvernement français va exercer de fortes pressions sur la société United Artists pour l’amener à renoncer à distribuer le film en France (jusqu’en 1975). Il va faire pression sur les autorités de différents pays pour empêcher la projection à l’étranger. Enfin, le film de Trumbo, qui évoque le sort horrible d’un soldat devenu un homme tronc, sort aux débuts des années 1970, au moment où les vétérans de la guerre du Vietnam reviennent, souvent en piteux état. Pour sa part, Rosi explique que dans son film Les hommes contre, il a repris le propos du roman d’Emilio Lussu écrit en 1938, mais en l’élargissant aux conflits de son temps : « j’ai pensé que ce point de vue pouvait suffire à lier la signification d’une guerre d’il y a cinquante ans aux guerres qui ont lieu aujourd’hui ».
Ces films abordent la première guerre mondiale de manière différente que la production précédente : s’ils s’attachent aussi à décrire l’horreur des combats, ils visent surtout certains responsables et en particulier le haut commandement militaire : on voit défiler une belle théorie de généraux ganaches, arrogants, brutaux, arrivistes….(les généraux Broulard et Mireau dans Les sentiers, le général Leone dans Les hommes contre…) Dans le film de Trumbo, ce sont les médecins militaires qui en prennent pour leur grade. En tout état de cause, la guerre qui devait être « fraîche et joyeuse » est devenue une boucherie : l’entêtement et le cynisme des principaux dirigeants sont clairement dénoncés, sans prendre de précautions comme dans le cinéma de l’entre deux guerres. On peut ainsi conclure que ces films sont plus antimilitaristes que pacifistes.. : ils prennent délibérément le parti des soldats contre leurs hiérarchies. C’est particulièrement net dans le film très réussi de Mario Monicelli, La Grande guerre, « fresque démythifiante et polémique » (Jean A. Gili) : le film raconte les mes(aventures) de deux braves types joués par Vittorio Gassman et Alberto Sordi, pris dans l’engrenage de la guerre : comme le dit le réalisateur en parlant de ces combattants, « c’étaient de pauvres diables, mal habillés, mal nourris, ignorants, analphabètes, qui allaient faire une chose qui ne les regardaient pas ».
Autre thème que beaucoup de ces films aborde : les mutineries et une justice militaire pour le moins expéditive, à une époque où les historiens avaient peu publié sur le sujet, du moins en France (le livre pionnier de Guy Pedroncini , qui évoque ce sujet, ne sort qu’en 1967). Plusieurs œuvres présentent ainsi des séquences de procès militaires, en particulier Les sentiers et Pour l’exemple, avec parfois certaines approximations : dans le film de Kubrick, les avocats s’interpellent à coups « d’objections », ce qui n’est pas vraiment la procédure en usage dans la justice française. Surtout comme le remarque Marc Ferro à juste titre, « tout ce qui figure dans Les Sentiers s’est bien produit. Mais ne s’est pas produit en même temps. Chaque élément est authentique, l’ensemble est dénué de toute réalité. » cela dit, ce défaut était déjà présent dans le livre d’Humphrey Cobb qui a inspiré le scénario. Malgré ces réserves, on peut quand même constater le film du cinéaste américain portait sur un sujet méconnu par l’historiographie française.
Par la suite, l’intérêt des réalisateurs semble retomber, et en particulier aux États-Unis : Avec la marche de l’Histoire, les cinéastes américains trouvent avec les conflits du Sud-Est asiatique d’autres images, et plus spectaculaires ( il n’y avait pas d’hélicoptères en 1914!) pour alimenter leur réflexion sur l’homme dans la guerre.
Les cinéastes européens semblent se désintéresser de la période, avec quelques exceptions heureuses . En 1962, David Lean réalise son film-épopée de près de 3 heures 30, Lawrence d’Arabie, qui évoque le rôle de cet officier britannique au Proche-Orient, chargé de provoquer la révolte des tribus de la péninsule arabique contre l’empire ottoman . Si la vérité historique n’est pas toujours scrupuleusement respectée, le film a le mérité d’attirer sur une zone de combat rarement évoqué par le cinéma et il a marqué les esprits par la qualité du jeu de son interprète principal, Peter O’Toole, qui a bien rendu toute l’ambiguïté du personnage ( le film fait aussi connaître au public occidental un jeune acteur égyptien ,Omar Sharif. Anthony Quinn joue un improbable prince Faycal…)
En France , on peut citer deux films réussis qui abordent un aspect encore trop laissé dans l’ombre, le rôle des troupes coloniales. Fort Saganne d’Alain Corneau (1982) ,en une brève mais forte séquence, montre les Sahariens du lieutenant Saganne, pris sous un terrible déluge d’obus, quelque part dans la boue de France, refuser de suivre dans une contre-attaque suicidaire, le chef qu’ils ont pourtant accompagné fidèlement dans les escarmouches des confins algériens.
La victoire en chantant de Jean Jacques Annaud, avec une ironie mordante, s’en prend aux affrontements impérialistes, qui font de l’Afrique aussi un champ de bataille : les méthodes de recrutement des tirailleurs indigènes, le racisme des petits blancs promus officiers, l’insouciance de la vie humaine, la bêtise des « stratégies» militaires, sont dénoncés avec une allégresse vacharde par un Jean-Jacques Annaud iconoclaste. Mais cette satire repose sur des faits malheureusement bien réels.
Depuis les années 1980 : des visions multiples
Depuis cette période, l’intérêt des cinéastes pour la première guerre mondiale ne s’est pas démenti et le rythme s’est même accéléré récemment (La vie et rien d’autre et Capitaine Conan, de Bertrand Tavernier, La Tranchée de William Boyd, La chambre des officiers de Marc Dugain, Un long dimanche de fiançailles de Jean Pierre Jeunet, Les âmes grises de Philippe Claudel, Joyeux Noël de Christian Carion, Les fragments d’Antonin de Gabriel Le Bomin, La France de Serge Bozon sans oublier Le cheval de guerre de Steven Spielberg). Et on ne compte pas dans cette production les nombreux téléfilms réalisés sur le sujet et qui sont parfois des vraies réussites (Le Pantalon d’Yves Boisset diffusé en 1996 ou Les tranchées de l’espoir de Jean-Louis Lorenzi en 2003). Cette engouement est peut-être dû aux succès populaires de certains de ces films comme ceux de Jeunet (6,5 millions de spectateurs à sa sortie) et de Carion (plus de 2 millions).
On sait aussi qu’un certain renouveau historiographique s’est manifesté à propos de la première guerre mondiale. Déjà, les idées de George Mosse sur la brutalisation des sociétés européennes à l’issue de cette guerre se sont répandues et notamment en France ( De la grande guerre au totalitarisme, la brutalisation des sociétés européennes, paru en français en 1990 ) : pour lui, le conflit a été le théâtre d’une violence sans précédent, qui a perduré en temps de paix et il y voit une des explications possibles à l’émergence des mouvements extrémistes d’après guerre. Depuis plusieurs années, l’équipe des historiens du mémorial de Péronne (Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Laurent Veray..) a multiplié les publications alors que d’autres chercheurs ont adopté des visions différentes (Rémy Cazals, Fréderic Rousseau, Nicolas Offenstadt). Un des débats qui a agité le monde universitaire a porté sur la nature de l’engagement des soldats confrontés à cette violence extrême : les historiens comme Audoin-Rouzeau ou Becker estiment que les soldats ont tenu par conviction patriotique, en fonction du contexte culturel dans lequel ils ont évolué depuis leur enfance…A l’inverse, les historiens de l’ « école de la contrainte » pensent que les soldats ont tenu à cause de l’encadrement de la hiérarchie militaire, qui n’hésite pas à réprimer de manière extrêmement sévère…
Bien sûr, Les films récents ne posent pas le problème en termes universitaires mais reprennent certaines idées évoquées . On peut ainsi relever que les scènes de bataille sont de plus en plus réalistes et insistent sur la violence des combats (cf Capitaine Conan, Un long dimanche…). Dans le film de Jeunet, le cinéaste a dit s’être inspiré des fameuses séquences de Steven Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan, pour décrire l’âpreté des combats. Bertrand Tavernier , dans Capitaine Conan, adapté du roman de Roger Vercel, présente un personnage qui ne vit que par la guerre et se retrouve complètement déboussolé quand le conflit s’achève : l’officier interprété par Philippe Torreton est l’image même de ces petits bourgeois qui ont trouvé un sens à leur vie dans le combat et qui sont complètement désemparés lorsque la paix survient (l’une des dernières séquences présente un Conan revenu à la vie civile aigri, abruti par l’alcool…).. Ces classes moyennes déconfites seront une proie rêvée pour les idéologies d’extrême droite de l’entre deux guerres (le personnage Conan aurait en partie inspiré par Joseph Darnand, héros de la première guerre mondiale, et qui terminera à Vichy comme secrétaire d’état à l’Intérieur en 1944).
De même, on peut relever que beaucoup de ces films d’une certaine façon prennent partie dans le débat historiographique sur le consentement des combattants : en effet, plusieurs films insistent sur les conduites déviantes des soldats. Comme le rapporte Nicolas Offenstadt, « tous ces films, à l’exception de La Chambre des officiers, donnent une place importante aux refus de guerre, évoquent la désertion, la répression disciplinaire ». Un long dimanche de fiançailles évoque la vague de mutilations volontaires, Joyeux Noêl rapporte les épisodes de fraternisation sur le front en décembre 1914 .D’ailleurs, comme le constate avec une certaine amertume Annette Becker, « du point de vue de l’espace public, nous (les historiens du mémorial de Péronne) avons perdu depuis longtemps ». En particulier, le film de Christian Carion , qui a connu un réel succès populaire comme nous l’avons déjà dit, est peu apprécié des historiens de cette école : avec une certaine prétention, son metteur en scène prétend « briser un tabou » (le site officiel du film précise : « une histoire vraie que l’Histoire a oubliée ») . Il estime que ces fraternisations sont une des premières étapes de la construction de l’Europe d’aujourd’hui : il déclare ainsi en 2004 : « ma conviction est que ces soldats rebelles ont posé la première pierre de la construction européenne ». Annette Becker rapporte qu’elle a beaucoup ri pendant la projection et qu’elle a eu le droit à des regards noirs…Et de dénoncer la démagogie du film : « pour le public, il est plus facile de croire que nos chers grands-pères ont été forcés de faire la guerre par une armée d’officiers assassins ».
Enfin, plusieurs films récents se sont attardés sur les conséquences de la guerre : La vie et rien d’autre, Un long dimanche de fiançailles, La chambre des officiers, Les fragments d’Antonin évoquent des sujets qui avaient été peu abordés précédemment : les disparus, l’exploitation commerciale de la souffrance, les « gueules cassées » et leur difficile réinsertion dans les sociétés d’après guerre, les traumatismes liés à la guerre…Sur ces sujets, le film de Tavernier est particulièrement réussi : le commandant Dellaplane, interprété par Philippe Noiret, est confronté à un problème bien réel : l’identification des 300 000 disparus du conflit. Les dix premières minutes du film montrent une galerie impressionnante de soldats abîmés par la guerre (mutilés, gazés, amnésiques…). Dans Les fragments d’Antonin, le cinéaste Gabriel Le Bomin utilise quelques séquences tournées entre 1916 et 1918 dans certains centres hospitaliers comme le Val de Grâce, où l’on voit des soldats souffrant de « blessures invisibles », qui apparaissent paralysés ou atteints de chocs nerveux très impressionnants.
La représentation de 14-18 au cinéma est donc différente selon les époques et les cinéastes de chaque période ont présenté leur vision selon le contexte historique de leur temps, découvrant des aspects occultés à d’autres moments (par exemple, les fusillés par exemple ne sont jamais mentionnés avant 1945).
Une constante apparaît sans doute : la violence de cette guerre en fait LA guerre par excellence : dès les années 1920, les films ont tous la volonté de dénoncer ces combats d’une cruauté sans égal, sans réel enjeu idéologique…Aucun réalisateur, sauf pendant le conflit lui-même, n’a vraiment pris à son compte une vision patriotique de la guerre, à quelques très rares exceptions : la guerre de 1914-1918 ne peut être considérée comme une guerre juste, à la différence de la seconde guerre mondiale, où les combats les plus âpres sont justifiés par le caractère démoniaque de l’adversaire nazi…..
D’autre part, la violence des combats, les personnages excessifs de certains officiers, les conditions de vie éprouvantes des combattants en font une guerre très « photogénique », même si une certaine histoire n’y trouve pas toujours son compte. A ce titre, la première guerre mondiale est un sujet de choix pour le cinéma, et notamment le cinéma engagé politiquement. D’une certaine façon, il se fait aussi l’écho des débats qui ont agité les historiens : les réalisateurs s’intéressent aussi à ce qui a fait tenir les hommes pendant quatre ans, sujet qui divise encore les chercheurs…En ce sens, il peut constituer aussi un stimulant pour la réflexion historique.
(ce texte reprend des parties de l’article écrit par Dominique Chansel, pour le numéro des Rencontres Cinématographiques d’Alsace consacré au film de Bertrand Tavernier, La vie et rien d’autre)
voir aussi filmographie sur la première guerre mondiale à l’écran