En 1952, JP Gorce écrivait à propos de Si Versailles m’était conté et de La conquête de l’Ouest : « le cinéma de l’Ancien Régime est à la culture française ce que le western est à la culture américaine ». La formule est facile mais non dénuée de vérité : comme les films sur l’Ouest américain, les films sur l’Ancien Régime ont alimenté notre mémoire sur la période, avec son lot d’images mythiques…Car, comme le remarque Marcel Oms, longtemps le cinéma a présenté la société pré-révolutionnaire, comme « un monde policé, galant, séduisant, auquel le spectateur englué dans un présent de grisailles, rêve d’être admis… » . Une suite d’images brillantes qui semblent la parfaite illustration de la célèbre phrase de Talleyrand sur l’Ancien Régime : « Celui qui n’a pas vécu pendant les vingt ans qui ont précédé la Révolution, n’a pas connu la douceur de vivre ». Mais comme son « cousin d’Amérique », ce genre de film est remis en cause dans les années 1970 ( pour les westerns, Soldat bleu de Ralph Nelson date de 1970, et pour les films sur l’Ancien régime, Que la fête commence de Bertrand Tavernier est sorti en 1974…) : en France, cette contestation du modèle s’explique par le renouveau de l’historiographie sur l’Ancien Régime ( notamment les travaux d’Ernest Labrousse, de Pierre Goubert, d’Emmanuel Leroy-Ladurie, de Fernand Braudel…) et une approche plus érudite et plus engagée d’une nouvelle génération de cinéastes ( Rosselini, Allio, Failevic, Tavernier… ). Alors apparaissent des oeuvres cinématographiques sur l’Ancien Régime, qui, à défaut d’être de qualité égale, ont toutes des intentions didactiques…
« La douceur de vivre »
Le cinéma de fiction, en particulier celui des studios hollywoodiens , a puisé dans cette période de l’Ancien Régime, tout ce qui pouvait servir à alimenter « l’usine à rêves » : décors somptueux, costumes luxueux, personnages raffinés, intrigues bien agencées et romantiques à souhait ,au travers des romans populaires du XIX° siècle d’Alexandre Dumas à Alexandre Zevaco. Ce cinéma a plutôt privilégié le XVIII° siècle ( le XVI° siècle est jugé sanglant et confus, le XVII° trop classique…).Un film comme Marie-Antoinette de William S.Van Dyke ( 1938 ) ne manque pas d’évoquer le luxe de la Cour, le raffinement des repas, les toilettes somptueuses…mais pour mieux dénoncer les excès de ce monde décadent. En accord avec la vision anglo-saxonne de la Révolution française , la société du XVIII° est présentée comme fascinante mais aussi corrompue, condamnée par ses propres abus. Les causes sociales de la Révolution sont en général réduites à quelques scènes-types, évoquant la misère du peuple : la foule des pauvres quémandant un bout de pain, le miséreux écrasé par le carrosse d’un noble indifférent ( cette vision de l’Ancien Régime se retrouve encore dans le film de James Ivory Jefferson à Paris ). Le cinéma américain insiste d’ailleurs aussi sur la bestialité du peuple qui se déchaîne pendant la Révolution française et le destin tragique de ces personnages de la Noblesse les rend alors attachants ou en tout cas dignes de pitié…
Le cinéma français a été plus prolixe sur l’Ancien Régime : on peut ainsi relever les fresques « historiques » réalisées par Sacha Guitry ( Les perles de la Couronne -1937-, Remontons les Champs-Elysées-1938-, Si Versailles m’était conté-1953-, Si Paris m’était conté-1955- ). Au delà de la fantaisie du réalisateur, ces films illustrent bien sa nostalgie pour une époque où » l’esprit français » était à son apogée, sous le règne de quelques Grands Rois comme François Ier dans Les perles de la Couronne, Louis XIV dans Si Versailles m’était conté, Louis XV dans Remontons les Champs-Elysées ( Guitry n’est pas vraiment « royaliste » mais plutôt attaché » aux Grands Hommes qui ont fait la France » , et il a plusieurs fois célébré le personnage de Bonaparte…). Quant à la véracité de ces charmantes anecdotes, l’auteur lui-même a indiqué ce qu’il fallait en penser : « je revendique le droit absolu de conter des aventures dont je n’ai pas trouvé la preuve du contraire ». Malgré son peu de crédibilité historique, la vision « galante » de Guitry, version optimiste de celle d’Hollywood, a été longtemps dominante dans le cinéma français et a ainsi façonné une certaine image de l’Ancien Régime…
De cape et d’épée
L’Ancien Régime sert aussi de toile de fond à un genre très populaire en France dans les années 1960, le film de cape et d’épée ( on en produit alors 25 par an : certains historiens du cinéma ont d’ailleurs rapproché le succès de ce genre de l’avènement du pouvoir gaulliste, considéré comme un avatar du système monarchique…). Sur les écrans se succèdent alors d’habiles bretteurs, « cousins » de d’Artagnan (Le chevalier de Pardaillan, Lagardère, Le Capitan ) souvent couplés à un valet débrouillard (ce duo type est souvent incarné par Jean Marais et Bourvil…), sans oublier l’inévitable femme galante d’extraction modeste ( parmi les films les plus connus, Les trois mousquetaires -1953-, Le Bossu -1959-, Le Capitan -1960- tous réalisés par André Hunebelle, la série des Angélique et Le Chevalier de Pardaillan mis en scène par Bernard Borderie…). Ces films de cape et d’épée ne remettent pas en cause les idées reçues sur l’Ancien Régime mais apportent quelques aspects nouveaux, empruntés à l’enseignement officiel de l’histoire . Ainsi, la lente formation de l’unité française y est illustrée par ces personnages de gentilshommes souvent méridionaux, sans le sou mais habiles escrimeurs. En montant à Paris, ils perdent leur accent et se mettent au service de leur Roi, pour l’aider à combattre les élites corrompues ( les Nobles rebelles, ou Mazarin le profiteur..). Leur rôle est essentiellement conservateur, dans le sens où leur mission est « de remettre de l’ordre » : la Monarchie n’y est jamais critiquée et les « Bons Rois » à la Lavisse sont valorisés ( Henri IV, voire Louis XIV…). Aux marges du film de cape et d’épée, quelques films des années 1950-1960 sortent des sentiers battus. Le personnage incarné par Gérard Philippe, dans Fanfan la Tulipe de Christian-Jacque ( 1952 ) fait preuve d’une verve insolente : il apparaît comme « un hybride de gentillesse populaire et de Révolution ». L’armée du Roi est présentée comme une bande d’abrutis, commandée par des officiers cyniques et Louis XV semble intelligent mais bien antipathique. Le Cartouche de Philippe de Broca ( 1961 ) dépeint sans complaisance la caste nobiliaire du XVIII° et le destin tragique du brigand incarné par Jean-Paul Belmondo est présenté comme le prélude de bouleversements plus radicaux…Mon Oncle Benjamin d’Edouard Molinaro (1969 ) est le portrait truculent d’un libre-penseur voltairien, prêt à se mobiliser contre l’ordre établi…
Le cinéma-histoire
Mais c’est surtout à partir des années 1970 que plusieurs cinéastes, surtout en France, renouvellent la vision de l’Ancien Régime au cinéma : Roberto Rosselini, le précurseur qui réalise La prise du pouvoir par Louis XIV dès 1966, puis René Allio ( Les Camisards en 1972, Un médecin des Lumières ), Bertrand Tavernier ( Que la fête commence en 1974 ), Maurice Failevic ( 1788 en…1978 ). La démarche de ces réalisateurs s’inscrit d’abord dans le même contexte historiographique : en effet, beaucoup d’entre eux se sont inspirés des « nouveaux objets » définis par l’école de la » Nouvelle Histoire », alors en pleine ascension…On peut d’ailleurs noter que plusieurs historiens de cette tendance sont justement des « modernistes » : Fernand Braudel bien sûr, Emmanuel Leroy-Ladurie, Philippe Joutard, Pierre Goubert…La nouvelle génération de cinéastes n’hésite pas à faire preuve d’érudition et utilise certains travaux de recherche : Allio consulte Joutard et Leroy-Ladurie pour Les Camisards, Arlette Farge et Jean-Pierre Peter pour Médecin des Lumières, M.Failevic s’appuie sur les compétences de son scénariste , Dominique de la Rochefoucault pour 1788 (ce dernier participe aussi au scénario d’une dizaine de films ou téléfilms de Rosellini, dont La prise du pouvoir... ). Certains de ces réalisateurs sont aussi engagés ( Allio, Failevic, Tavernier…) et leur regard sur l’histoire n’est pas neutre : étudier une société pré-révolutionnaire, c’est aussi parler de la situation de ces années 1970 . A propos de Que la fête commence, Tavernier explique : « ces traits sociaux nous paraissent étrangement contemporains, sans que nous ayons besoin de les actualiser : l’inflation, la colonisation,le régionalisme breton… ». En tout cas, leur vision de l’Ancien Régime tranche avec l’image qui en était donnée par « les films à costumes » tournés jusque là. Déjà, ces cinéastes privilégient souvent ce qu’on pourrait appeler le « héros collectif », autrement dit le peuple, de préférence à l’individu : un groupe de paysans protestants cévenols dans Les Camisards, une communauté villageoise dans 1788 . Dans Que la fête commence consacré au Régent, Tavernier ne manque pas de conclure son film par une « émotion » paysanne… Cette approche pose d’ailleurs des problèmes de production,comme le constate René Allio : » Si vous décidez de ne pas passer par un héros central, il ne peut y avoir de vedette donc il faut un autre financement. On peut facilement représenter les classes dominantes : il est beaucoup plus difficile de représenter les classes populaires ». Alors qu’en ces années 1970, le régionalisme est en plein essor, ces réalisateurs évoquent souvent la France des provinces : Les Camisards en Cévennes, Que la fête commence en Bretagne, 1788 dans un village de Touraine, Un médecin des Lumières dans le Bourbonnais… Leurs films décrivent aussi des aspects de la vie quotidienne, très peu évoqués auparavant : les travaux agricoles dans 1788, la médecine dans Un médecin des Lumières et quelques séquences de La prise du pouvoir, la sexualité des classes dirigeantes dans Que la fête commence et La prise du pouvoir, la religion dans Les Camisards, la justice dans Le retour de Martin Guerre…
Ce cinéma érudit a pu paraître austère à certains ( à propos de La prise du pouvoir, un critique estime que Colbert débite son programme « avec les accents monocordes d’un acteur bressonien… »). D’ailleurs, certains de ces films n’ont eu qu’une audience réduite et les réalisateurs n’ont trouvé leur salut qu’en travaillant pour la télévision ( Failevic pour 1788, Allio pour Un médecin des Lumières ) : ils y ont trouvé des conditions de production convenables et une audience presque inespérée ( 1788 diffusé dans le cadre de l’émission « les dossiers de l’écran » a été regardé par 18 millions de téléspectateurs…). Sans parler d’une légende noire de l’Ancien Régime après une légende dorée, il est clair que ces cinéastes insistent sur les ombres de cette période : l’oppression féodale dans 1788, l’absolutisme religieux dans Les Camisards...Même quand ils évoquent la Cour, c’est pour démonter les stratégies de représentation du pouvoir monarchique ( La prise du pouvoir ) ou souligner l’ambiance corrompue et cynique qui y règne ( Que la fête commence ).
Cette nouvelle vision de la période s’est maintenant suffisamment imposée pour être intégrée dans tous les films qui se déroulent sous l’Ancien Régime. Ainsi, récemment, ce qu’on pourrait appeler le « cinéma théatral » apparu ces dernières années, reprend souvent à son compte ces nouvelles représentations. Des films comme Les Fourberies de Scapin de Roger Coggio ( 1981 ) , Georges Dandin de Roger Planchon et d’une certaine façon Molière d’Ariane Mouchkine ( 1977 ) font éclater le cadre théâtral et multiplient des scènes de vie quotidienne très réalistes, pour illustrer les rapports entre la littérature et la société qui l’a vu apparaître. A propos du film de Mouchkine, Pierre Goubert approuve la réalisatrice « d’avoir osé montrer la boue, l’ordure, les poux, les charognes, le sang ( de cheval,de femme, de révolté,de comédien ) la disette, et les cagots ». Récemment, Bertrand Tavernier, en réalisant La fille de d’Artagnan ( 1994 ), tente de réconcilier le film de cape et d’épée et le cinéma érudit, dans son évocation de l’Ancien Régime.
Ainsi, la représentation de l’Ancien Régime au cinéma a bien changé, des « films en dentelles » réalisés dans l’entre deux-guerres aux visions plus « noires » du cinéma-histoire des années 1970. Longtemps, le cinéma de fiction présente une version « rose » de l’Ancien Régime, qui convient parfaitement aux impératifs des producteurs. Mais cette vision réductrice et pour tout dire réactionnaire ne résiste pas au temps, surtout en France où elle contredit de manière flagrante l’enseignement républicain. Dès la fin des années 1950, l’Ancien Régime est brocardé par quelques jeunes insolents comme Fanfan la Tulipe ou Cartouche… Dans les années 1970, le cinéma se réconcilie avec l’Histoire pour donner enfin une vision crédible de l’époque, même si c’est au prix d’un certain didactisme : la sensibilité nouvelle des cinéastes à l’historiographie ne peut être qu’appréciée..
voir aussi filmographie de l’Ancien régime au cinéma