Dans les années 1920, le cinéma allemand connaît un véritable âge d’or et participe pleinement au bouillonnement intellectuel et culturel de la république de Weimar (parmi les mouvements artistiques les plus connus, le théâtre de Max Reinhardt, l‘école d’architecture du Bauhaus…). Il s’appuie sur une organisation économique solide. L’Allemagne est l’un des seuls pays d’Europe à compter une société de production rivalisant avec les Majors américains : l’UFA, fondée en 1917, a fait construire les plus vastes studios du continent, à Neubabelsberg, près de Berlin, et produit de grands films historiques qui connaissent un réel succès populaire (par exemple Mme Du Barry ou Anne de Boylen, d’Ernst Lubitsch, avec de grandes vedettes comme Pola Negri ou Emils Jannings, et des milliers de figurants). De même, le pays est équipé d’un vaste parc de salles de cinéma, avec le réseau le plus dense au niveau européen (plus de 5000 salles en 1929, 300 à Berlin dont une vingtaine de taille considérable). Aussi, la production allemande de longs métrages est de loin la plus importante en Europe (près de 400 films dans les années 1920 alors que la France n’en produit qu’une centaine…).
L’âge d’or du cinéma allemand
Mais le cinéma allemand est aussi reconnu pour sa qualité exceptionnelle et on voit apparaître en quelques années de nombreux réalisateurs de grand talent, dans des genres très variés. Plusieurs d’entre eux ont profondément marqué l’histoire du septième art. Dès le début de la période, apparaît ce qu’on a appelé le cinéma expressionniste, à la suite de la sortie en 1920 du film Le cabinet du docteur Caligari du réalisateur Robert Wiene. En fait, le qualificatif a été quelque peu galvaudé et appliqué à trop de films : reste que ce style très particulier a fortement marqué les esprits de l’époque (on peut très schématiquement résumer ses différents aspects : des décors urbains déformés ou « gothiques », un contraste accentué du noir et blanc, le jeu excessif et mécanique des acteurs, une ambiance souvent pesante et angoissée,….). Des cinéastes comme Lang ou Murnau ont été évidemment influencés et ce style va se retrouver aux États-Unis, lorsque certains réalisateurs ou techniciens iront s’installer à Hollywood (Ernst Lubitsch, F. Murnau, F. Lang, Karl Freund..). Un cinéaste comme Alfred Hitchcock ne cachait pas son admiration et sa dette envers ce mouvement cinématographique.
Mais le cinéma allemand ne se réduit pas à cette tendance : sans doute en réaction au style expressionniste, d’autres cinéastes s’attachent au contraire à revenir « au réel » : ainsi, les films du mouvement Kammerspiel s’intéressent à la psychologie des petits bourgeois (par exemple Le dernier des hommes de Murnau, qui raconte les tourments d’un vieux portier d’hôtel), les « films de rue » qui évoque la misère urbaine (La Rue sans joie, de W. Pabst) ou encore les réalisateurs de la « nouvelle objectivité » qui tournent des films quasi documentaires (Les hommes le dimanche, de Robert Siodmack). Au sein de cette véritable effervescence artistique, émergent trois hommes qui vont devenir des maîtres du septième art : Friedrich Wilhelm Murnau, Georges Wilhelm Pabst et Fritz. Lang . Le premier, qui fait preuve d’une réelle virtuosité technique, s’illustre par quelques chefs d’œuvre (Nosferatu, Le Dernier des Hommes, Faust, Tartuffe) avant de finir sa carrière aux États-Unis. Pabst, dans un style plus classique, s’intéresse aussi à des sujets variés souvent contemporains et tourne quelques œuvres majeures : La rue sans joie, Quatre de l’infanterie, Loulou, L’Opéra de quatre sous… Enfin, F. Lang réalise en quelques années une œuvre éclectique mais considérable (Les trois lumières, Le docteur Mabuse, Die Nibelungen, Metropolis, M. Le Maudit).
Le reflet d’une société en crise
Au delà de la qualité artistique du cinéma allemand de cette époque, il peut aussi intéresser les enseignants d’histoire par la vision qu’il nous donne d’une société allemande en plein désarroi dans ces années d’après guerre. Ainsi, la guerre de 1914-1918 est sans doute à l’origine des aspects tourmentés du cinéma expressionniste ou de certains films importants de la période (dans une première mouture de M. Le Maudit, F. Lang voulait faire de son personnage un homme hanté par les horreurs de la première guerre mondiale). Pabst réalise Quatre de l’infanterie, de tonalité ouvertement pacifiste, qui insiste sur l’âpreté des combats et les rapports difficiles entre le front et l’arrière. Les réalités économiques et sociales sont bien présentes dans les films allemands de la période : la bourgeoisie vite enrichie par la spéculation est décrite dans Le docteur Mabuse ou Loulou (qui évoque aussi l’aventure d’une femme émancipée). Les inégalités sociales en particulier dans les grands centres urbains sont évoquées par exemple dans La rue sans joie…Même la montée des organisations révolutionnaires est abordée dans des films plus engagés comme Ventres glacés de Slatan Dudow (il traite d’un faubourg ouvrier communiste de Berlin).
La montée du nazisme n’est pas traitée directement mais certains historiens du cinéma ont perçu dans les thèmes et les personnages du cinéma allemand des années 1920 comme l’annonce de la montée du nazisme. Le critique Siegfried Kracauer écrit après 1945 un essai célèbre De Caligari à Hitler, qui estime que les films expressionnistes traduisent la psychologie tourmentée des classes moyennes allemandes avant 1933. Pour lui, les personnages monstrueux de ces films (Caligari, Mabuse, M…) sont comme une anticipation de Hitler lui-même, une « procession de tyrans » pour lesquels le peuple allemand éprouvait alors une certaine fascination. Il souligne aussi le caractère irrationnel de ce cinéma et relève que les nazis partageaient cette haine de la raison : il voit même une dimension antisémite dans certains films de Murnau ou de Lang (le personnage de Rotwang dans Metropolis, certaines séquences des Die Nibelungen). Une telle interprétation est bien sûr discutable mais certains historiens comme Marc Ferro ont proposé des analyses voisines, par exemple à propos de M. Le Maudit : pour le spécialiste de l’histoire du cinéma, « le fait divers (évoqué dans le film) devient le prétexte, volontaire ou non, d’une analyse d’une société » et il qualifie Fritz Lang de « plus grand des cinéastes historiens ». Le cas de ce réalisateur est d’ailleurs particulièrement emblématique des ambiguïtés de la période. Les sujets de ses premiers films ont parfois prêté à confusion : le thème très « germanique » des Nibelungen, l’idéologie antirévolutionnaire de Metropolis correspondent sans nul doute aux sentiments patriotiques et conservateurs du réalisateur et peut-être à l’influence de sa femme et scénariste Théa Von Harbou, sympathisante nazie notoire. Par la suite, Fritz Lang prend conscience des dangers de l’idéologie hitlérienne : Le dernier film réalisé en Allemagne avant son exil, Le testament du docteur Mabuse, dénonce clairement les activités de bandes de gangsters qui veulent s’emparer du pouvoir par la force, allusion assez transparente aux groupes paramilitaires d’extrême droite. Après la nomination de Hitler comme chancelier, le cinéaste refuse les offres de service du nouveau régime (certains dirigeants nazis comme Goebbels appréciaient beaucoup certaines de ses œuvres) et il quitte l’Allemagne, pour poursuivre une longue carrière aux États-Unis (il y tournera notamment 4 films antinazis…).
Ainsi, le cinéma allemand des années 1920 est un bon « marqueur » historique de l’Allemagne de l’après guerre : il fournit des pistes intéressantes aux enseignants d’histoire pour aborder la période par le biais de l’art cinématographique.
voir aussi filmographie du cinéma allemand années 1920-1930