Les aventures de Robin des Bois, un film de Michael Curtiz et William Keighley
États-Unis, 1 heure 42, 1938
Interprétation : Errol Flynn, Olivia de Havilland, Basil Rathbone, Claude Rains
Synopsis :
En 1191, le Prince Jean règne sur l’Angleterre avec l’aide du cruel Guy de Gisbourne, alors que Robin des Bois affirme sa fidélité au roi Richard retenu prisonnier en Autriche…Le prince des hors la loi se rend au château de Nottingham, un cerf abattu sur les épaules et vient provoquer le prince Jean qui tente en vain de le faire tuer. Robin se cache dans la forêt de Sherwood avec ses hommes et s’empare d’un trésor convoyé par Guy de Gisbourne…Le Prince et Guy de Gisbourne organisent alors un tournoi d’archers pour attirer Robin des Bois, qui tombe dans le piège : il est arrêté et condamné à être pendu….
Robin des Bois
un film de studio, d’aventure et plus encore…
Robin des Bois est l’un des films mythiques de l’histoire du cinéma, « qui a triomphé des modes et de l’oubli sans devoir pour autant se présenter sous l’infâme et grotesque étiquette rétro », comme l’écrit Olivier Eyquem, lors d’une précédente reprise. Le long métrage interprété par Errol Flynn concentre plusieurs des qualités du cinéma américain d’avant guerre : il est le produit presque parfait de » l’usine à rêves » hollywoodienne ; il appartient à l’un des genres les plus populaires du cinéma, le film d’aventure ; enfin, le public a été sensible au « message » du film : quand l’autorité abuse de son pouvoir, il est juste de se rebeller…
Un film de studio
Robin des Bois est d’abord un film produit par l’un des plus grands studios d’Hollywood. la Warner Brothers, fondée en 1923 par 4 frères (Jack, Harry, Sam, Albert) est l’une des firmes qui dominent alors l’industrie du cinéma. Depuis les années 1930, les 5 plus grandes compagnies ( the big five : Paramount, MGM, Warner, 20th Century Fox, RKO ) contrôlent 75% du marché américain et chacune d’entre elles produit près de 50 films par an ( presque un par semaine…). Après la récession des années 1931-1934, le secteur est à nouveau florissant, grâce à l’importance du marché intérieur ( à l’époque, une famille américaine va au cinéma trois fois par semaine…) et à l’introduction de nouvelles techniques ( le parlant depuis la fin des années 1920, la couleur depuis les années 1930 ). La Warner n’est alors qu’au 4° rang des Compagnies les plus importantes, mais elle a réussi une percée remarquée en étant la première à réaliser des films sonores ( Le Chanteur de jazz avec Al Jonson en 1927 )et en produisant une série de longs métrages sur des thèmes sociaux…
Ces films sont produits par les studios selon des normes précises, car ils doivent respecter un impératif de rentabilité. Il est courant de présenter Hollywood comme une industrie et le vocabulaire même renvoie à celui employé dans les entreprises: le metteur en scène est un director ( comme un directeur du personnel…? ), et la troupe des acteurs est appelée le stock….L’organisation du travail est rationnelle est presque « taylorisée » . Chaque studio est divisé en départements très spécialisés ( scénarios, décors, costumes…) et soumis à des objectifs précis de productivité. Le souci des « Mogols » est d’assurer le succès de leurs productions en éliminant au maximum les risques d’erreur. Les studios s’en tiennent à des recettes éprouvées, que ce soit au niveau du choix des sujets ou de la distribution des rôles…Ils peuvent à l’occasion prendre des risques, mais ce sont souvent des risques calculés. Ainsi, il n’est pas rare que les jeunes acteurs se rôdent dans des films de série B avant d’être engagés sur des projets plus ambitieux : ce fut le cas pour des interprètes aussi célèbres que John Wayne…ou Errol Flynn…
Robin des Bois est aussi un film d’aventure, genre très populaire dans les années 1930 ( nous y reviendrons plus loin ). La réussite commerciale de plusieurs longs métrages confirme l’engouement du public pour ce cinéma d’évasion : l’Ile au Trésor de Victor Flemming ( 1934), Les Trois Lanciers du Bengale d’Henry Hattaway (1935), Les mutinés du Bounty de Frank Llyod ( 1935 ) sont parmi les plus connus. A l’époque où la Warner envisage de réaliser Robin, elle vient de produire avec succès Capitaine Blood (1935 ) mis en scène par Michael Curtiz et Olivia de Havilland…Le sujet a aussi déjà fait ses preuves : l’histoire du hors-la-loi de Sherwood avait été notamment porté à l’écran par Allan Dwann en 1922, avec comme interprète le fameux Douglas Fairbanks. Ce film muet, dont le budget était le plus important jamais connu, avait eu un immense succès.
Dès lors, la machine peut se mettre en marche : comme il est d’usage dans les studios, plusieurs scénaristes sont mis au travail sur la même histoire ( une douzaine pour Autant en emporte le vent...), avec des obligations précises de résultat ( en général, ils devaient écrire une vingtaine de pages par jour…). Pour Robin des Bois, le scénario fait l’objet de plusieurs versions successives entre 1935 et 1937. La première est l’œuvre d’un écrivain anglais Rowland Leigh, qui a déjà travaillé pour la Warner, sur La Charge de la brigade légère. Sur ordre du producteur Hal Wallis, l’auteur-maison Norman Reilly Raine, qui vient d’écrire pour La Vie d’Émile Zola, est chargé de réécrire le scénario ( il est assisté par Seton I. Miller pour les dernières corrections).
Le choix des acteurs est aussi mûrement réfléchi. En général, les studios n’attribuent les personnages principaux qu’à des vedettes confirmées et chaque firme puise dans ses propres « ressources ». De ce point de vue, la MGM est incontestablement la mieux pourvue, elle qui se flatte « de posséder plus d’étoiles qu’il y en a dans le ciel » (More Stars than there are in Heaven...): parmi les plus célèbres, on peut citer Clark Gable, Wallace Berry, Greta Garbo, Joan Crawford…La Warner ne compte que quelques vedettes comme Humphrey Bogart, Bette Davies ou James Cagney ( avec qui elle entre d’ailleurs en conflit..;). Aussi, la firme décide de donner le rôle principal au jeune Errol Flynn qui vient de faire ses preuves dans Capitaine Blood et qui de toute façon ne coûte pas trop cher au studio ( son salaire est encore relativement modeste…). L’acteur n’est pas apprécié pour l’excellence de son jeu mais pour ses qualités photogéniques. Hal Wallis précise : »ce n’était pas un admirable comédien, mais c’était un superbe animal masculin et son sex-appeal était évident (…) Il était une des rares personnalités dont la caméra tombe amoureuse… »Il est associé à la même partenaire féminine, Olivia de Haviland. Les seconds rôles sont sélectionnés avec le même soin. Les personnages de « Méchants » sont ainsi confiés à deux « spécialistes », Claude Rains (Jean Sans Terre) et Basil Rathbone (Guy de Gisbourne) qui partagent la même expérience théâtrale et la même origine britannique…Leur accent anglais, leur jeu expressif ont font d’utiles faire-valoirs.
Les équipes techniques sont composées de professionnels aguerris et certains d’entre eux ont déjà une certaine notoriété dans le milieu du cinéma. Des décorateurs comme Cedric Gibbons à la MGM ou Anton Grot à la Warner ont grandement contribué au succès des films auxquels ils ont collaboré. Dans le cas de Robin des Bois, une attention toute particulière est portée à la couleur ( c’est le premier film en Technicolor de la Compagnie…) et les duels sont réglés par le maitre d’armes d’origine belge Fred Cavens (il va participer à la plupart des films de cape et d’épée des années 1930). La partie musicale est confiée au compositeur autrichien, élève de Malher et de Puccini, auteur de l’Opéra la Ville morte et qui a déjà collaboré à deux productions de la Warner, Capitaine Blood et Le Prince et le Pauvre…La compétence de cette équipe technique est d’ailleurs récompensée puisque Robin des Bois obtient les Oscars du décor, de la musique et de la couleur…
Dans le système hollywoodien, le tournage est planifié avec précision. Les équipes travaillent une douzaine d’heures par jour et doivent produire trois minutes de film en une journée de travail. En moyenne, les prises de vue sont bouclées en 4 semaines. Le coût moyen d’une production dans les années 1930 s’élève à 400 000$. Les dirigeants sont obsédés par le problème des délais car tout dépassement entraine des dépenses supplémentaires ( les « états d’âme » de Gary Cooper lors du tournage de L’Extravagant M. Deeds coûtent 100 000$ à la Columbia…). Respecter le plan de travail est donc un impératif ( Jack Warner s’exclame : « je ne veux pas que ça soit bon, je veux que ça soit prêt mardi »…). Mais sur ce point, Robin des Bois est atypique : le tournage s’éternise de la fin septembre 1937 à la mi-janvier 1938 ( il excède de 38 jours le temps prévu à l’origine) et son coût est largement supérieur à un budget moyen de l’époque et aux dépenses prévisionnelles
( 1,9 millions de $ au lieu de 1,1 millions…). Les retards s’expliquent : les producteurs changent de réalisateur en cours de tournage et plusieurs séquences sont reprises ; surtout, ils ont voulu soigner le premier film en couleur de la Warner qui doit être une réussite technique irréprochable…
Le rôle du producteur
Dans ce dispositif, le système hollywoodien donne un rôle décisif aux producteurs : certains sont d’ailleurs passés à la postérité tant leur contribution aux films qu’ils ont produits a été essentielle : Irving Thalberg à la MGM, Darryl F. Zanuck à la Warner jusqu’en 1933, David O. Selznick à la RKO puis à la MGM…Le producteur délégué (executive producer) en charge d’un film particulier, peut intervenir à tout moment du projet, de l’élaboration du scénario jusqu’au montage final. Dans le cas de Robin des Bois, Hal Wallis a fait supprimer du scénario les scènes trop coûteuses ( dans les premières versions, il était ainsi prévu une séquence montrant l’attaque du château de Nottingham par les troupes de Richard Cœur de Lion et les hommes de Robin…) ou il en fait rajouter d’autres ( le couronnement fastueux de Jean sans Terre, ce qui permet d’utiliser au mieux les possibilités du Technicolor…). Pendant le tournage même, les producteurs n’hésitent pas à changer de metteur en scène s’ils l’estiment nécessaire ( pour Autant en emporte le vent, Selznick engage successivement George Cukor, Sam Wood et Victor Fleming…). Hal Wallis fait d’abord confiance à William Keighley, réalisateur maison qui a collaboré au Ben-Hur de Fred Niblo en 1924 (il était chargé de réaliser la fameuse séquence de la course de chars…) et qui a surtout déjà tourné trois films en couleur. B.Reaves Eaton s’occupe de la réalisation des scènes d’action..Mais au bout de deux mois, le producteur est déçu par le travail accompli : « malheureusement, les scènes d’action n’étaient pas convaincantes »..Il décide donc de désigner un nouveau metteur en scène, aussi de la Warner, Michael Curtiz, qui a déjà dirigé Errol Flynn, Olivia de Havilland et Basil Rathbone dans Capitaine Blood. Hal Wallis est satisfait du travail du réalisateur ( Curtiz tourne toutes les séquences d’intérieur, par exemple, celle du banquet des Barons normands, ou le fameux duel entre Robin des Bois et Guy de Gisbourne . Il reprend aussi certaines scènes d’extérieur…). Mais le producteur délégué intervient à nouveau quand il estime que le cinéaste dépense trop : »son unique défaut était le gaspillage. Il engageait des centaines de figurants pour des scènes filmées entièrement en gros plans.Je lui ai demandé de limiter les dépenses ce qu’il n’ a accepté qu’avec difficulté ». Enfin, les producteurs gardent la haute main sur le montage final (final cut) et les metteurs en scène les plus prestigieux comme Howard Hawks ou John Ford ont dû batailler pour arracher aux studios un droit de regard sur le résultat de leur travail. Orson Welles n’accepte de travailler à Hollywood qu’à la condition qu’on lui garantisse le contrôle du montage. Pour Robin des Bois, Hal Wallis supervise le travail et l’on sait qu’il est surtout appliqué à couper dans les séquences, pour donner ce fameux rythme « saccadé » qui était la marque de fabrique des films produits par la Warner.
Enfin, selon un système mis au point par Frank Capra, les films sont testés dans quelques salles où le public anonyme est convié à donner son avis ( ces séances s’appellent des previews ). D’après les réactions des spectateurs, le montage et parfois des séquences entières sont repris (il arrive qu’on propose au public deux fins différentes, et qu’on lui demande de choisir…). Les projections de Robin des Bois qui se déroulent en avril 1938 suscitent une adhésion enthousiaste, si bien que les retouches sont très limitées ( d’autant que l’accueil des critiques est aussi excellent…). Les résultats financiers immédiats ne furent pas à la hauteur des espérances et des investissements de la Warner mais le film qui est repris plusieurs fois, connait une carrière exceptionnelle et devient rapidement un des plus beaux fleurons du cinéma d’aventure ( c’est l’un des films préférés des GI pendant la seconde guerre mondiale).
Un film d’aventure
En effet, outre sa perfection technique, le succès de Robin des Bois s’explique aussi par le genre même du film. Ce cinéma d’aventure, qui s’inspire des grands romans populaires du XIX° siècle, apparaît dès les débuts de l’industrie cinématographique sous la forme des serials ( série des Nick Carter, des Rifle Bill, des Mystères de New-York ). Le genre est brillamment illustré à l’époque du muet par les films interprétés par Douglas Fairbanks ( Le signe de Zorro de Fred Niblo -1920-, Robin Hood d’Allan Dwann-1922-, Le voleur de Bagdad de Raoul Walsh-1924-, Le Pirate Noir d’Albert Parker-1926-). Mais l’âge d’or du film d’aventure se situe surtout dans les années 1930, en même temps que d’autres genres comme la comédie ( les Marx Brothers, WC Fields, Laurel et Hardy…) et la comédie musicale ( les films de Bubsy Berkeley, de Fred Astaire et Ginger Rogers…) : « le cinéma d’évasion, quoiqu’il tourne le dos à la crise économique, en est directement issu » (Jean-Loup Bourget) . Les studios développent ce type de production d’abord parce que le code Hays mis en place en 1930 les incite à la prudence dans le choix des sujets : évoquer le Moyen-Age ou la conquête coloniale de l ‘Afrique est moins risqué que de parler de sujets sociaux ou sexuels…On a aussi beaucoup dit que ces films « distrayants » permettait à un public touché par la crise d’oublier ses soucis quotidiens…Dans les Golden Diggers of 1933, les danseuses reprennent en chœur : « nous nageons dans l’argent… », une façon de conjurer le mauvais sort…
Les studios en tout cas exploitent le filon et chaque firme compte plusieurs cinéastes spécialistes du genre : Michael Curtiz bien sûr mais aussi Raoul Walsh, W.A Wellman, W.S Van Dyke, Richard Thorpe, Tay Garnett…Le film d’aventure respecte certains codes qui en principe garantissent le succès. Le cadre de l’action doit être exotique : le dépaysement peut être géographique ou historique et le plus souvent les deux à la fois : les spectateurs sont arrachés à leur grisaille de tous les jours et emmenés dans des contrées paradisiaques . L’Afrique ( la série des Tarzan, Les mines du Roi Salomon…) et l’Asie (Les trois lanciers du Bengale, La Charge de la brigade légère, Gunga Din ) sont les continents les plus visités…Certaines périodes historiques sont aussi privilégiées : le Moyen-Age (Robin des Bois, Ivanhoe, Les Chevaliers de la Table Ronde, Prince Vaillant), l’époque moderne et en particulier la longue série de films de pirates ( L’Ile au Trésor, Les Mutinés du Bounty, L’Aigle des mers, le Cygne Noir…), l’épopée coloniale de l’empire britannique ( notamment les films qui se déroulent en Asie déjà cités ). Après guerre, l’Antiquité est à la mode ( Terre des Pharaons, Alexandre le Grand, Spartacus ) : Les péplums bibliques, qui forment un sous-groupe à eux tous seuls, connaissent un succès particulier (Quo Vadis, Les 10 Commandements, Sanson et Dalila, Ben-Hur)…Quand le sujet du film est historique, le souci d’authenticité n’est pas vraiment la préoccupation essentielle : il s’agit plutôt d’une « contre-histoire », plus amusante, plus familière et toujours centrée sur des individus exceptionnels…En ce qui concerne Robin des Bois, beaucoup d’historiens estiment que l’antagonisme Saxons/ Normands qui constitue la trame du scénario, s’est beaucoup atténué au XII° siècle…
Justement, l’intrigue des films d’aventure, souvent assez réduite doit surtout mettre en valeur le héros, figure centrale qui ordonne l’action. Ce « picaro » est souvent issu du peuple et s’oppose aux Puissants qui abusent de leur pouvoir . C’est aussi bien sûr un séducteur, drôle et astucieux , qui sait se battre même s’il ne cherche pas la bagarre. Ces héros sont incarnés par des acteurs estampillés et on n’imagine pas un interprète qui serait utilisé à contre-emploi. Chaque époque a connu ses vedettes : Douglas Fairbanks au temps de muet, Errol Flynn et Clark Gable dans les années 1930 et 1940, Stewart Granger, Tyrone Power et Robert Taylor après guerre. Leurs partenaires féminines sont aussi souvent les mêmes : les sœurs Joan Fontaine et Olivia de Havilland, Maureen Sullivan qui a incarné Jane, la compagne de Tarzan dans 6 films de la série…Il en est de même pour les acteurs qui interprètent les Méchants, comme George Sanders, Claude Rains et Basil Rathbone. Le genre du film d’aventure connait une certaine éclipse pendant les années de guerre : l’heure est au patriotisme et Hollywood ne veut pas être en reste…Mais dans les années 1950, les studios commencent à subir la concurrence de la télévision et tablent sur les productions à grand spectacle en Cinémascope pour attirer les spectateurs : le film d’aventure trouve alors une nouvelle jeunesse…
Robin des Bois= Franklin Delano Roosevelt?
Plusieurs auteurs estiment que Robin des Bois est même un peu plus qu’un film d’aventure. D’une certaine façon, il est porteur de valeurs que pouvaient identifier les spectateurs des années 1930 ( c’est l’idée que défend Olivier Eyquem, dans un article que nous reproduisons par ailleurs ). Depuis les années 1920, la Warner a toujours montré une certaine sensibilité aux thèmes sociaux et politiques. Plusieurs réalisateurs attitrés de la firme tournent des films qui évoquent soit des victimes de la crise (Wild Boys of the Road de W.AWellman-1933-) soit des problèmes de société comme par exemple la dureté du système pénitentiaire américain (Je suis un évadé, de Mervin LeRoy-1932-)…cette approche particulière se retrouve d’une certaine manière dans le cinéma d’aventure, d’autant que le cadre exotique permet de tenir des discours plus audacieux que dans les films plus « politiques » ( dans les longs métrages de la Warner, la crise économique est décrite, jamais expliquée au fond…). Selon Jean-Paul Coursodon, « le Capitaine Blood ou Robin des Bois incarnent un héros révolté contre un ordre politique corrompu, ordre que l’éloignement géographique et historique permet de condamner sans ambiguïté ».
En premier lieu, « le héros flynnien type naît de la rébellion, de l’infraction à l’ordre établi » (Olivier Eyquem). Il y prend même un certain plaisir, puisqu’à deux reprises, il vient se jeter dans la gueule du loup ( lors du banquet et du tournoi), sans raison apparente si ce n’est la joie de narguer les autorités…Cette révolte est bien sûr menée par Robin mais il n’est pas seul. Il est entouré de nombreux personnages secondaires (Will l’Ecarlate, frère Tuck, Petit Jean…). Sa rébellion est moins individualiste que celle du personnage incarné par Douglas Fairbanks dans le film de 1922…Le campement des compagnons du hors-la-loi ( The Merry Men of Sherwood) rappelle les « hoovervilles« , vastes bidonvilles édifiés par les vagabonds dans les années 1930 à la périphérie des grandes cités américaines. Olivier Eyquem relève l’opposition entre l’ordre aristocratique qui règne au château de Nottingham ( il évoque à ce propos les plans « riefensthaliens » des trompettes sonnant l’ouverture du tournoi…) et le désordre créatif qui anime le camp de la forêt. certains critiques ont d’ailleurs rapproché le mépris affiché par les Normands envers les Saxons et la doctrine de « la race des seigneurs » dans l’Allemagne hitlérienne…
En principe, le héros est chargé de rétablir l’ordre dans une société en plein bouleversement. Là encore, des analogies peuvent être faites : le pouvoir est vacant dans l’Angleterre du XII° siècle, les États-Unis sont traumatisés par la Grande Dépression des années 1930…Cette situation d’exception « justifie l’installation d’un nouveau leader (Robin=FDR?) appuyé sur le peuple mais maitre de ses destinées, dont le souci premier sera la préservation de la légitimité traditionnelle » (Olivier Eyquem). En un sens, Robin sauve l’Angleterre de Richard Cœur de Lion comme le Président démocrate évite le naufrage du capitalisme américain. Mais l’impression finale est ambiguë : certes, l’autorité est rétablie mais l’image forte qui reste est celle de l’insoumission : « on se souvient plus de Robin défiant ( de manière explicite et répétée ) Jean Sans Terre et Guy de Gisbourne, que de son allégeance ( presque sous-entendue) envers le roi Richard ». En poussant un peu l’analyse, on peut même penser que le spectateur des années 1930 devait éprouver une certaine satisfaction à voir ainsi défier les Puissants. Par Robin interposé, il peut prendre une sorte de « revanche sociale » contre les salauds de tous les temps : les Rois usurpateurs, les shérifs brutaux et voleurs appartiennent à la même famille que les banquiers spéculateurs, les patrons qui licencient, les policiers qui chargent les chômeurs…Même l’évocation de la Grande-Bretagne en péril dans ces années 1938-1939 a un sens pour le public de l’époque : « ces appels à défendre une Angleterre encore lointaine ( mais dont on pressent qu’elle ne va pas tarder à être menacée), ce retour aux sources de l’esprit civique et démocratique, ces invitations à la vigilance face aux abus autant que cette injonction finale à s’incliner devant l’autorité du Chef suprême fait partie de l’air du temps » (Olivier Eyquem). Il serait certes ridicule de faire de Robin des Bois un film « engagé », mais les spectateurs des années 1930, avec leur propre grille de lecture, ont dû apprécier l’actualité du combat mené par Robin…
Tous les ingrédients ont donc été rassemblés pour faire du Robin des Bois de 1938 une réussite : le film de Michael Curtiz réunit la maîtrise technique, la qualité artistique, la perfection d’un genre à son apogée, et une façon de s’inspirer de l’air du temps…Une recette dont les studios d’Hollywood d’aujourd’hui pourraient bien s’inspirer, tant cette magie particulière semble appartenir au passé ( les deux dernières versions de l’histoire de Robin des Bois, celles de John Irvin et de Kevin Reynolds, même si elles ne sont pas dénuées de qualités, sont loin d’atteindre la dimension mythique du film interprété par Errol Flynn)…