(cet article a été rédigé pour le dossier du film Des Hommes d’influence)
Le réalisateur des Hommes d’influence n’est certes pas un des grands maîtres du cinéma américain contemporain et son œuvre ne se situe pas en marge du système hollywoodien…Mais à l’intérieur de ce cadre qu’il connaît bien, il fait preuve s’une certaine originalité qui mérite d’être relevée, dans le choix et le traitement des sujets qu’il aborde.
Ses débuts dans le milieu cinématographique sont très classiques. Né à Baltimore, il fait ses études à l’American University of Washington puis gagne la Californie. Il fait ses premiers pas dans les studios de Los Angeles, en tant qu’acteur et scénariste, en particulier à la télévision. Il travaille avec Mel Brooks dans deux films (La dernière folie de Mel Brooks, Le grand frisson), puis avec Norman Jewison (Justice pour tous, Les meilleurs amis), Richard Donner (Rendez vous chez Max) et Howard Zieff (Faut pas en faire un drame). Alors que les « films d’ados » sont à la mode (en1973, énorme succès d’American Graffiti de George Lucas), Barry Levinson se lance tardivement dans la mise en scène, en réalisant en 1982 un film semi-autobiographique, Diner, avec des acteurs prometteurs comme Mickey Rourke ou Ellen Barkin (c’est l’ histoire de quelques adolescents prolongés de Baltimore, qui ont du mal à grandir dans l’Amérique des années 50…). Levinson reprendra cette inspiration personnelle dans Les filous (Tin Men), tourné en 1987. Il a également en projet une chronique familiale très autobiographique à propos de l’histoire d’émigrés polonais entre1918 et 1960, et qui devrait s’intituler The Family…
Une carrière conforme
La réussite de Diner lance sa carrière hollywoodienne qui se déroule de manière bien conformiste, ponctuée de plusieurs succès commerciaux (surtout Good Morning Vietnam et Rain Man) et de récompenses officielles (en 7 ans, il réalise 6 films et… obtient 8 nominations aux Oscars : il reçoit l’Oscar du meilleur réalisateur en 1988 pour Rain Man). Il y eut quelques échecs : Les filous ne reçoit l’audience méritée, Sleepers, qui traite de la pédophilie dans les maisons de redressement, obtient au succès honorable grâce à son casting ; Sleepers (1997), qui est l’adaptation d’un roman de Michael Crighton, est une déception. Levinson exerce aussi une activité de producteur (parmi les plus notables, Donnie Brasco de Mike Newell, surtout The Second Civil War de Joe Dante, qui traite un sujet proche de celui des Hommes d’influence, mais sur un ton plus grinçant…).
Un savoir-faire hollywoodien
De ce parcours inégal, on peut d’abord retenir l’éclectisme du cinéaste. Il a déjà exercé toutes les professions du cinéma : il ne s’est pas contenté de mettre en scène, mais il a été aussi acteur, scénariste, producteur…Autant dire qu’il maîtrise les différents aspects professionnels de la machine hollywoodienne. Levinson a aussi abordé des genres très divers : il commence avec un film autobiographique mais s’intéresse à d’autres thèmes : l’aventure (Le secret de la pyramide), la guerre (Good Morning Vietnam), le thriller torride (Harcèlement), la science-fiction (Sphère)…Il sait trouver les sujets susceptibles de plaire au public, mais souvent avec un léger décalage : comme nous l’avons déjà dit, son premier film fait partie d’un genre en vogue dans les années 1970-1980, Good Morning est un faux film de guerre, Rain Man, un faux road movie…Harcèlement est un film malin (racoleur ?) qui exploite la sensualité des deux acteurs vedettes, Michael Douglas et Demi Moore…A ce propos, Levinson sait toujours s’assurer d’une distribution d’acteurs prestigieux, qui permet d’espérer un bon succès commercial. La liste est impressionnante : Richard Dreyfuss, Al Pacino, Robin Williams, Robert de Niro, Dustin Hoffman et plus récemment Sharon Stone. De façon curieuse pour un ex-scénariste, il avoue d’ailleurs plus se reposer sur ses personnages que sur les scénarios qu’il développe…
The Levinson Touch
Mais, Levinson n’est pas seulement un habile « faiseur » : il est aussi intéressant d’évoquer sa manière de traiter des sujets à la mode, en prenant des risques calculés. Ainsi, Good Morning n ‘est pas le nième film sur cette « sale guerre »…Comme l’explique le réalisateur, il a aimé « le fait que l’on parle de ces évènements, par un autre point de vue que celui des champs de bataille ou des bas quartiers de Saigon ». Ce film (lui) « permettait de faire comprendre que ce qu’on appelait l’ennemi était d’abord composé d’individus ». Et de fait, c’est à l’époque un des seuls films américains qui représentent des personnages vietnamiens sans tomber dans le cliché et la caricature. De même, le sujet de Rain Man détonne dans la production hollywoodienne de l’époque. « Au diable les trains, les hélicoptères, la mafia, le FBI, les carambolages, tous ces ingrédients que nous injectons dans les films parce que nous avons peur de faire des films sur les individus eux-mêmes », déclare le cinéaste au moment de la sorite du film. Certes, le personnage d’autiste interprété par Dustin Hoffman, est très « présentable ». Reste que le thème était difficile à traiter et que le cinéaste montre une réelle sensibilité…
Levinson fait preuve du même instinct en réalisant Des hommes d’influence avant…l’affaire Lewinsky. D’ailleurs, quand il entend parler du Monicagate, le réalisateur est estomaqué : « j’étais abasourdi ! Halluciné ! J’ai pensé qu’on aurait dû pousser le bouchon encore plus loin, puisque la réalité nous avait déjà dépassés. C’était même un peu jubilatoire, parce que cette histoire vraie a rendu mon film encore plus crédible. C’est allé bien plus loin que j’avais pu l’imaginer ». En fait, le cinéaste s’est inspiré du roman de Larry Beinhart, American Hero, qui évoque surtout la guerre du Golfe, idée qui n’est pas reprise dans le scénario. Levinson raconte : « ce qui me titillait, c’était de montrer avec quelle facilité on peut manipuler les médias. Durant la guerre du Golfe, les seules informations qui parvenaient étaient des images vidéo que je suis capable de faire(…). Dans le fond, ils peuvent nous faire croire ce qu’ils veulent ». Le réalisateur revendique la fonction critique de son film : « je n’épargne ni Hollywood, ni Washington, où l’on crée un « emballage » pour les hommes politiques qui sont vendus comme des produits. C’est dangereux ». Grâce à l’actualité politique du moment, ce « petit » film (il a coûté 1,5 million $ alors que le même cinéaste à la même époque tourne Sphère pour 85 millions…) bénéficie d’une promotion involontaire mais exceptionnelle, qui permet un certain succès…
Certains comme Michel Cieutat estime que le cinéaste a un style bien personnel (The Levinson Touch) et parle de « la fascination du vide » qui parcoure son œuvre. Le critique de Positif remarque que « les protagonistes de ses films sont pratiquement tous frappés du syndrome de la vacuité existentielle. Ses personnages ne rencontrent que déboires et frustrations ». Le producteur hollywoodien incarné par Dustin Hoffman dans Des hommes d’influence est bien à ranger dans cette catégorie : il ne supporte plus le monde virtuel dans lequel il vit et qu’il a contribué à créer mais il va le payer cher…Comme l’écrit Cieutat, la solution au « piège du pessimisme » est la dérision : « (Levinson) est de ceux qui savent que l’Amérique n’est plus ce qu’elle était et qu’il vaut mieux rire de ce nouvel état de chose plutôt que d’en pleurer ». Le réalisateur « voulait faire un film drôle, mais aussi terrifiant dans ce qu’il suggère » : le coup est plutôt réussi…