Cœur de Tonnerre, un film de MIchael Apted
États-Unis, 1 heure 59, 1992
Interprétation : Val Kilmer, Sam Shepard, Fred Ward, Fred Dalton Thompson, Sheila Tousey, Chief TED THIN ELK, Juilus Drum
JOHN Trudell, Allan R. J Joseph
Synopsis :
Dans une réserve sioux du Dakota du Sud, un meutre est commis contre un membre du Conseil tribal, Leo Fast Elk. Le FBI décide de dépêcher sur place un de ces agents, le jeune Ray Levoi, qui a déjà une brillante carrière et qui se trouve être d’origine indienne. Il doit retrouver à Rapid City une des légendes du service, Frank Coutelle, qui a déjà passé près de 9 ans sur le terrain. Arrivé dans la réserve, Levoi se retrouve en pleine guerre civile interne : les militants du Mouvement des Droits Indiens, menés par Jimmy Looks Twice et Maggie Eagle Bear, qui défendent les valeurs traditionnelles , s’opposent aux Indiens pro-gouvernementaux, dirigés par Jack Milton, le président de la tribu et ses auxiliaires plutôt brutaux, les Goons…Le jeune agent du FBI prend conscience que ce meurtre, qu’on attribue un peu vite à Jimmy, cache des affaires bien douteuses…Avec l’aide du policier indien Walter Crow Horse, du vieux GrandPa Reaches et Maggie l’institutrice, il parvient à saisir toutes les implications du meurtre, et retrouve aussi petit à petit ses origines…
Le personnage de Ray Levoi ou la quête des origines
Quand Michael Apted réalise Cœur de tonnerre, c’est bien sûr l’occasion pour le cinéaste anglais d’évoquer les Indiens, leurs conflits internes, et les spoliations dont ils sont les victimes : on sait qu’il s’est inspiré des évènements qui se sont déroulés, au milieu des années 1970, dans la réserve sioux de Pine Ridge . Mais le réalisateur, à travers le personnage de Ray Levoi , nous propose aussi le portrait attachant d’un Indien d’abord honteux de ses origines, mais qui finit par retrouver ses racines…
Ray, Indien honteux…
Au début du film, Ray Levoi ne revendique absolument pas ses origines indiennes et semble même les rejeter…Il est parfaitement intégré, le cheveu court, propriétaire d’une belle voiture décapotable, le modèle type du bon agent du FBI…Il est d’ailleurs presque gêné quand son officier supérieur évoque son père indien…Ray prétend même ne l’avoir pas connu alors qu’il avait quand même sept ans lorsqu’il est mort… Il ne réagit pas davantage quand son chef se laisse aller à quelques clichés racistes à propos des Indiens (« on ne vous demandera pas de tresser des paniers ou de faire tomber la pluie »…).
Il adopte la même attitude à son arrivée dans la réserve. Son mentor, le vétéran Frank Coutelle, semble d’ailleurs sceptique sur ses origines : il lui dit qu’il ressemble à Sal Mineo dans Arrows in the Prairie, autant dire à un Blanc qu’on a déguisé en Indien…(cet acteur fait partie des interprètes « typés », comme Charles Bronson ou Anthony Quinn, qu’on utilisait encore dans les années 1950 pour jouer les rôles de « Peaux-rouges » …). Alors qu’ils sont en train de traverser le village indien, Ray est visiblement choqué par la pauvreté qui y règne. Il acquiesce lorsque Coutelle parle du « Tiers-Monde au milieu des États-Unis »…Le jeune agent estime d’ailleurs que la responsabilité en incombe aux Indiens eux-mêmes : selon lui, « ils feraient mieux de nettoyer leurs cours », avant de penser à retrouver leur gloire d’antan…
Levoi est aussi déconcerté quand les Indiens qu’il rencontre lui dévoilent « leur logique », une façon de penser qu’il juge irrationnelle. Quand le policier indien Walter Crow Horse lui conseille « d’écouter le vent et les arbres », le jeune agent du FBI lui rétorque qu’il « vient du monde qui s’appelle le XX° siècle »…Les « déclarations » de GrandPa Reaches le laissent dubitatif dans un premier temps. Il s’énerve aussi quand l’institutrice Maggie lui parle des métamorphoses animalières de Jimmy, le jeune militant indien…Il est même méprisant quand la jeune femme lui dit que sa grand-mère ne veut pas lui parler (« je lui expliquerai l’avion, elle m’expliquera la métamorphose »…). Visiblement, il ne connaît pas grand chose du monde indien où il débarque…Walter Crow Horse relève qu’il ne parle pas leur langue, qu’il ne sait pas quelles sont les coutumes de bienvenue (il n’a pas apporté de tabac au vieil Indien, comme le veut la tradition…. Ray doit aussi recourir au troc avec GrandPa Reaches pour obtenir des informations, mais il le fait de mauvais gré, tant il a l’impression que ce sont des échanges « inégaux » (il se fait ainsi dépouiller de ses lunettes de soleil Ray Ban, de son stylo, plus tard de sa montre…).
Une prise de conscience progressive
Mais, alors que l’enquête avance, Ray Levoi est de plus en plus mal à l’aise. Sur un plan strictement policier, il commence à éprouver quelques doutes à propos de la culpabilité du principal accusé, Jimmy Looks Twice, qui, comme par hasard, est aussi un militant actif de la cause indienne, et donc « un ennemi des Etats-Unis » selon Frank Coutelle…Il est aussi très choqué du comportement brutal de Jack Milton, le chef du Conseil tribal, et de ses auxiliaires (les Goons, miliciens indiens pro-gouvernementaux). Il peut lui-même s’en rendre compte quand ceux-ci viennent mitrailler la maison de Maggie et qu’un des enfants est blessé lors de la fusillade…Quand il fait part de ses doutes à son partenaire, celui-ci lui fait la leçon …Coutelle lui dit estimer le peuple indien mais que c’est un aussi un peuple vaincu, et « leur futur est dicté par le peuple qui les a conquis »…Ce cynisme au nom de la raison d’état et de la loi du plus fort ne semble pas convaincre le jeune agent du FBI…Ray se permet même d’ironiser, quand il parle de « protéger le rêve américain dans sa pureté »…
Progressivement, Ray Levoi prend aussi conscience des problèmes des Indiens, du racisme dont ils ont souffert de la part des Blancs, et ce depuis fort longtemps (Jimmy évoque une lutte qui a duré 500 ans, soit depuis l’arrivée de Christophe Colomb…). Maggie lui rappelle avec brutalité que les militants du mouvement ont été décimés, sans doute abattus par des Goons ou des agents du FBI et qu’aucune enquête n’a abouti (selon le Conseil international des traités indiens, près de trois cent personnes ont été assassinées dans la réserve de Pine Ridge dans les années 1970 et 1980…). Alors qu’il se rend à une fête traditionnelle, Walter lui parle de son complexe d’infériorité qui l’a miné pendant toute son enfance, d’autant plus que ce sentiment était intériorisé (le policier indien lui raconte qu’il voulait être Gary Cooper quand ils jouaient aux Cow-boys et aux Indiens…). Alors qu’il était au pensionnat, les Blancs l’ont obligé à se couper les cheveux et surtout à ne plus parler sa langue, sous peine de se faire laver la bouche au savon…
Le jeune agent du FBI n’est pas insensible non plus aux « visions » que lui raconte grandPa Reaches…Quand le vieil homme lui fait part de ses rêves, on comprend qu’il décrit de façon très précise les rapports entre Ray et son propre père, cet Indien « aux vêtements sales et aux dents gâtées » qui faisait honte à son fils…le jeune agent du FBI a lui-même plusieurs visions, alors qu’il surveille Maggie ou le vieil homme. Il rêve d’Indiens en train de pratiquer la Danse des Esprits, puis il se voit lui-même, au milieu de femmes et d’enfants sioux, pourchassé par des cavaliers blancs…En fait, ces visions sont une allusion assez évidente aux évènements de Wounded Knee à la fin du XIX° siècle (cf article dans ce même dossier). Walter Crow Horse est d’ailleurs un peu jaloux de ce don que le jeune agent du FBI semble développer « spontanément »…Il le traite d’ « Indien instantané » . Ray écoute aussi, fasciné, le vieil Indien lui expliquer sa dernière vision : lui-même, Ray Levoi, serait le descendant –spirituel ?- de Cœur de Tonnerre, un des braves tués lors du massacre de 1890…. Il aurait été envoyé par les Esprits pour sauver son peuple…(le jeune homme va d’ailleurs vérifier que ce nom est bien inscrit sur le monument commémoratif du village…).
Ray choisit son camp
Aussi, à la fin du film, Ray bascule définitivement du côté des Indiens. Il est convaincu que Jimmy est innocent et que toute cette affaire a été montée, en particulier par son partenaire Coutelle, pour discréditer le militant indien, sans doute pour cacher des « magouilles» inavouables…Il découvre d’ailleurs le fin mot de l’histoire, grâce à une vison du Vieil Indien, qui a vu dans un rêve « des êtres étranges à Red Deer Table »…Lors de leur ultime rencontre, il avoue à Maggie qu’il a voulu oublier son père parce qu’il avait honte de lui. Celui-ci, qui était un vrai casse-cou, construisait des gratte-ciels « pieds nus et sans harnais de sécurité »… Arrivé complètement saoul au travail, il a été victime d’un accident …Mais il se souvient encore du surnom dont son père l’avait affublé : Washi, ce qui veut dire « grassouillet » selon l’institutrice…Ray estime qui c’est « son » peuple (c’est à dire les Sioux) qui lui a permis de renouer avec la mémoire de son propre père…Il a donc définitivement choisi son camp…Dans une des dernières séquences, Ray qui est confronté avec Coutelle et Milton le chef du Conseil tribal, reprend le mot d’ordre des militants indiens : « cette terre n’est pas à vendre »…
Quand le jeune agent du FBI quitte la route poussièreuse de la réserve pour rejoindre l’autoroute des Blancs, les apparences sont trompeuses…On peut penser que rien n’a changé pour lui, mais en fait Ray n’est plus le même : il s’est réconcilié avec ses origines et son propre père : avoir vécu avec « son » peuple lui a permis de mieux les comprendre et peut-être même commence-t-il à penser comme eux : il n’a plus en tout cas le même attachement aux choses qu’à son arrivée. Lors d’un dernier troc avec le vieil Indien, il échange sa montre Rollex contre un splendide calumet…