Kingdom of Heaven, un film de Ridley Scott
États-Unis, 2 heures 25, 2005
Interprétation : Orlando Bloom, Eva Green, Jeremy Irons,
Liam Neeson, Brendan Gleeson, Marton Csokas, Ghassan Massoud
Edward Norton
Synopsis :
France, 1187 : Balian, un jeune forgeron qui vient de perdre sa femme et son fils, en vient presque à douter de sa foi. Alors qu’il pleure leur disparition, un chevalier Godefroy
d’Ibelin , baron du roi de Jérusalem, vient le trouver et lui révèle qu’il est son père : il lui demande de l’accompagner jusqu’à la Ville sainte. Balian accepte, mais Godefroy tombe dans une embuscade. Juste avant de mourir, le père transmet à son fils son titre et ses terres à Jérusalem.
Entre la deuxième et la troisième croisade, une paix fragile règne alors sur la Ville sainte, grâce aux efforts de son roi Baudouin IV et à la modération du légendaire chef musulman, Saladin. Les habitants de confession chrétienne, musulmane et juive coexistent pacifiquement. Malade, les jours de Baudouin sont comptés et le fanatisme, l’appât du gain et la jalousie menacent la trêve. D’une intégrité sans faille, Balian se retrouve en terre étrangère, au service d’un roi déclinant. Il y rencontre aussi Sibylle, la sœur du roi mourant, une jeune femme aussi belle qu’énigmatique, au cœur de toutes les intrigues et à la veille d’une lutte décisive entre Croisés et Musulmans…
Kingdom of Heaven, un film « politiquement correct »…
Sans doute, Ridley Scott n’est pas connu pour ses engagements politiques de « gauche ». Ses réalisations précédentes ont surtout démontré son réel talent à mettre en scène des films à grand spectacle (Alien, Blade Runner, Gladiator…) et certaines œuvres ont une dimension vraiment originale (la vision apocalyptique d’une métropole du futur dans Blade Runner, l’étrange road-movie presque féministe de Thelma and Louise). Par contre, La chute du faucon noir, réalisé peu après les attentats de 2001, a laissé un goût amer à certains critiques. Il apparaît effectivement que le cinéaste a obtenu le soutien intéressé du Pentagone pour réaliser l’adaptation à l’écran du livre de Mark Bowden : l’US Army a fourni troupes et matériel à Ridley Scott et elle s’est montrée enchantée du résultat…Un officier américain estime que « les valeurs de l’armée sont bien représentées : le professionnalisme, l’héroïsme ». De fait, le metteur en scène britannique s’attache surtout à décrire les aspects techniques du sauvetage d’une poignée de soldats américains face à une foule déchaînée et fanatique : il occulte complètement les dimensions politiques de la présence américaine en Somalie. En cela, il rejoint les objectifs patriotiques de son producteur Jerry Bruckheimer. Comme l’écrit Samuel Blumenfeld, à la fin du film, « les soldats américains apparaissent triomphants, harassés mais convaincus de la haute valeur de leur mission. Sûrs d’eux-mêmes, dominateurs, éclatants, ils sont désormais de taille à affronter les forces maléfiques de cet « axe du Mal » défini par le président George W. Bush et qui menace l’Amérique de l’après 11 septembre » (Le Monde, 20 février 2002).
Des musulmans de bonne volonté
Aussi, de ce point de vue, Kingdom of Heaven marque une évolution du cinéaste et l’on sent bien que le « message » de son nouveau film ne se situe pas dans le même registre. Les moyens imposants sont bien sûr au rendez vous mais la vision du cinéaste semble avoir évolué… Déjà, et les spécialistes n’ont pas manqué de le relever, Ridley Scott et son scénariste William Monahan, ont noirci à dessein les personnages de certains chrétiens, les Templiers et en particulier les nobles Renaud de Châtillon et Guy de Lusignan… A l’inverse, la figure de Saladin est traitée avec ménagement, sans insister outre mesure sur certains détails peu glorieux de sa biographie (notamment les massacres auquel il s’est livré après la prise de Jérusalem). Le cinéaste a au contraire privilégié les personnalités presque « humanistes », réelles ou inventées pour la circonstance : Balian, jeune forgeron vite monté en grade, le sage Tibérias, conseiller de Baudoin IV, le roi lépreux lui-même qui se désole de voir s’envenimer les rapports entre communautés de différentes religions dans la Ville sainte….La conception des mentalités de l’époque peut apparaître anachronique (les doutes métaphysiques du jeune Balian semblent d’un autre temps, Saladin est présenté plus comme un pragmatique que comme inspiré par Dieu…). Cette façon de renvoyer dos à dos les fanatiques des deux bords est clairement assumée par le cinéaste anglais et il invoque la réalité historique. Comme il l’explique au Monde, « nous avons fait un film (si) équilibré. Je déteste l’expression « politiquement correct », mais c’est en fait ce que nous avons réussi. C’est un équilibre qui vient de l’histoire, qui n’est pas là parce que nous nous y sommes efforcés à tout prix ». En tout cas, ce film a été salué par certains critiques français qui ont relevé l’évolution du cinéaste, après la réalisation de La Chute du faucon noir. Jean-Luc Douin estime que « Ridley Scott se dédouane dans Kingdom of Heaven de toute suspicion d’être le porte-parole de la Maison Blanche et du Pentagone ». Et de noter qu’on peut rapprocher le fanatisme des Chrétiens des Croisades et celui de Bush et des néo-conservateurs d’aujourd’hui : « les faucons américains s’apparentent aux Templiers du film (la cupidité de Châtillon renvoyant à celle des affamés de pétrole). Il arrive qu’Hollywood se pose vis à vis de l’État en contre-pouvoir ».
Hollywood, du patriotisme au regard critique
En fait, le film de Ridley Scott s’inscrit dans un contexte politique différent. Dans la période juste après les attentats de 2001, les studios ont senti que l’heure était au patriotisme, d’autant qu’ils avaient été accusés d’avoir inspiré les terroristes avec leurs scénarios–catastrophes (par exemple, Couvre feu d’Edward Zwick, sorti en 1998, qui évoque des attentats à New York, perpétrés par des extrémistes islamiques …) Robert Altmann déclare alors: « les films ont donné l’exemple et ces gens-là n’ont fait que les copier. Personne n’aurait jamais songé à commettre une telle atrocité sans l’avoir vue auparavant dans un film ». Le producteur Jerry Bruckheimer renonce à son projet World War III, montrant les villes de Seatle et de San Diego ravagées par une charge nucléaire mais s’engage dans celui du film La chute du Faucon noir. D’autres films sortis en 2002, comme Bad Company de Joel Schumacher ou La somme de toutes les peurs d’Andrew Robinson font directement allusion aux forces de « l’axe du mal », dénoncées par George W. Bush. Collateral Damage d’Andrew Davis, réalisé avant le 11 septembre, est complété lors de sa sortie en salle, par une séquence où un leader terroriste s’en prend aux « criminels de guerre américains ».
Mais depuis la dernière campagne présidentielle aux États-Unis, le ton a changé dans la communauté du cinéma américain: on se souvient de l’écho rencontré auprès du public par le documentaire engagé de Michael Moore Farenheit 9/11, sorti en 2004. Plusieurs films « engagés » tournés depuis confirment que certains producteurs ont pris leurs distances avec l’action du gouvernement républicain : Syriana de Stephen Gaghan sur la politique américaine au Proche-Orient, Jarhead de Sam Mendes à propos de la première guerre en Irak, ou Good night and Good luck de George Clooney qui évoque le MacCarthysme, témoignent que le cinéma américain a évolué. Certains critiques français ont relevé qu’Hollywood renouait avec l’engagement politique. Aux « libéraux » déjà connus tels Tim Robbins, Sean Penn, et Susan Sarandon, se sont joints de nouveaux acteurs et producteurs, désireux de « réfléchir à certains problèmes », comme le dit George Clooney, un des membres les plus actifs de cette « nouvelle vague » (il est réalisateur de Goodbye and Good luck, producteur et acteur du film Syriana). Dans ce nouveau contexte, Ridley Scott n’a pas tort d’estimer que son film Kingdom of Heaven, qui ne diabolise pas les musulmans adversaires des chrétiens, est « politiquement correct »…
Même si on peut estimer ce changement a des arrière-pensées opportunistes (commercialement, il n’est jamais bon d’aller à l’encontre d’un courant de pensée devenu majoritaire), il est quand même significatif d’un nouvel état d’esprit dans l’industrie du cinéma : Hollywood ne part plus en guerre mais se pose des questions. Il est en tout cas en phase avec l’évolution de l’opinion publique aux États-Unis.