LE CINÉMA FRANÇAIS DES ANNÉES 1920
La reconnaissance d’un art
Qu’est ce que le cinéma ?
La naissance d’un art, vue par les critiques français
« Allons, c’est fait, j’admire le cinéma. On l’appelait jadis cinématographe, sans doute pour nous en dégoûter, puis on l’a mué en cinéma, puis en ciné. Espérons qu’après toutes ces familiarités on aura l’esprit de lui trouver un nom plus joli (…) Je sais que je l’aimerai un jour. Car je l’ai haï et je note, quasi inconsciemment, les étapes de la haine à l’affection. Ca n’a été d’abord qu’une formule scientifique. Puis on en a fait un jouet. Puis tout soudain, on a parlé d’art. Et depuis quelques mois, on dit, sans un peu d’emphase : cinquième art.
Un art, évidemment, ce sera un art. Est-il vrai qu’il sera le cinquième ? On hésite à le classer parmi les deniers du premier rang ou parmi les premiers du second rang. Est-il cousin de la pyrogravure, du crochet ou de la décalcomanie ?Ou bien pouvons nous en attendre les mêmes éclairs que la poésie, de la musique, de la sculpture ou de la couleur ? C’est autour de cette opinion qu’il faudra un jour se réunir (…)
La grande puissance de cet art balbutiant c’est qu’il est populaire (…) le cinéma va partout. Les salles se sont édifiées par milliers dans tous les pays, les films ont été tournés dans le monde entier, les commerçants rendent chaque jour plus intense cette industrie expressive, qui va tendre, je vous l’assure, à la perfection simultanée de l’art et du trafic (…) On va faire au cinéma autre chose que du mélodrame. Ceux qui ont quelque chose à dire vont enfin pouvoir le dire. La formule –texte et action scénique- n’est pas sotte et tous les publics de toutes les classes y est représentée (…)
Nous assistons à la naissance d’un art extraordinaire. Le seul art moderne peut-être avec déjà sa place à part et un jour sa gloire étonnante, car il est en même temps, lui seul, je vous le dis, fils de la mécanique et de l’idéal des hommes. C’est un art puisque sur lui on a accumulé toutes les peines et qu’il se venge dès aujourd’hui par un reflet de beauté »
(Louis Delluc, Le Film, mai 1918)
Le septième art
« Il serait inutile de rappeler ici les raisons qui nous ont fait baptiser d’un nombre ordinal cet art en lequel nous avons mis toute notre foi esthétique. Le Septième Art. Cela est entré, depuis ma conférence au Quartier latin, dans le langage commun. Mais il est bon qu’on se souvienne déjà, que le « Septième Art » représente, pour tous ceux qui le baptisent ainsi, la puissante synthèse moderne de tous les Arts : arts plastiques en mouvement rythmique, arts rythmiques en tableaux et en sculpture de lumières. Voilà notre définition du cinéma : et bien entendu, pour le Cinéma-Art comme nous le comprenons et vers quoi nous nous efforçons.
Septième Art, parce que l’Architecture et la Musique, les deux Arts suprêmes, avec leurs « complémentaires » de Peinture, Sculpture, Poésie et Danse, ont forme le chœur hexarythmique du rêve esthétique des siècles ».
(Ricciotto Canudo, Cinéa, 13 mai 1921)
Les surréalistes et le cinéma
La pratique du cinéma selon André Breton
« Quand j’avais « l’âge du cinéma » (il faut bien reconnaître que dans la vie cet âge existe-et qu’il passe) je ne commençais pas par consulter le programme de la semaine pour savoir quel film avait la chance d’être le meilleur et pas davantage je m’informais de l’heure à laquelle le film commençait. Je n’appréciais rien tant que l’irruption dans une salle où l’on donnait ce que l’on donnait, où l’on était n’importe où et d’où nous sortions à la première approche d’ennui -de satiété-pour nous porter précipitamment vers une autre salle où nous nous comportions de même et ainsi de suite. Je n’ai rein connu de plus magnétisant : il va sans dire que le plus souvent nous quittions nos fauteuils sans savoir le titre du film, qui ne nous importait d’aucune manière ».
Le cinéma idéal selon Louis Aragon
Le cinéma tend trop à demeurer une succession rapide de photographies. L’idéal cinégraphique n’est le beau cliché (…) Réclamer des metteurs en scène qu’ils aient une esthétique et un sentiment de la beauté, ce n’est pas assez. Il leur faut une esthétique audacieuse et neuve et le sentiment de la beauté moderne. A cette condition, le cinéma s’affranchira de tous les alliages hétéroclites impurs et funestes qui l’apparient au théâtre et dont il est l’irréductible ennemi.
Il est indispensable que le cinéma prenne une place dans les préoccupations des avant-gardes artistiques. Elles possèdent des décorateurs, des peintres, des sculpteurs (…) On veut s’en remettre à des académiciens, à des acteurs arrivés, et c’est folie, anachronisme. Cet art est trop profondément de ce temps pour confier son avenir aux hommes d’hier (…) Il manque au cinéma la consécration des sifflets pour avoir la considération des gens de cœur . Procurez-la-lui, qu’enfin apparaisse la pureté qui attire les crachats ! »
(article de Louis Aragon « Du décor », revue Le film, 1918)