Cette chronique voudrait évoquer un sujet que j’ai déjà traité dans d’autres textes de ce blog, à savoir l’usage du cinéma dans la classe : mais cette fois, je ne voudrais pas aborder les aspects pédagogiques mais insister plutôt sur l’évolution de cette pratique depuis quelques décennies, histoire de rapporter mes histoires « d’ancien combattant » !..
Le temps des pionniers…
il y a plus de trente ans, quand j’ai commencé ma carrière, les jeunes enseignants passionnés de cinéma que nous étions, nous ne doutions de rien ! J’ai le souvenir d’avoir réussi à convaincre mes collègues de l’époque à monter des opérations cinéma au collège : près de 300 élèves de troisième étaient réunis dans la salle de la cantine, où nous leur passions les films sur un projecteur 16 mm hors d’âge, avec un son particulièrement mauvais. En plus, le choix des œuvres projetées était austère…du genre Octobre ou M Le Maudit…Un de mes collègues me racontait avoir passé Alexandre Nevski d’Eisenstein à des collégiens de Hautepierre, public pourtant réputé difficile…Et tout cela se passait plutôt bien ! Puis vint le temps où nous disposions d’ensembles vidéo posés sur des chariots à roulette , que nous partagions entre différentes salles de classe…Cet équipement était particulièrement convoité dans les moments « creux » de l’année, lorsqu’il fallait occuper les élèves alors au minimum de leur attention, par exemple juste avant Noël ou à la fin de l’année…
A cette époque, toutes les pratiques, y compris les plus douteuses, existaient : nous avons tous connu des collègues qui laissaient la télévision faire cours à leur place. Certains professeurs avaient du mal à résister à la pression «amicale » des élèves : « monsieur, on regarde un film? ». Passer un film en cours était clairement considéré par nos collégiens comme une récréation ! Au mieux, c’était une manière d’illustrer le cours que l’on venait de faire, au pire, un moyen de passer le temps ! Et bien sûr, les enseignants ne tenaient aucun compte de droits d’auteur éventuels…
Une prise de conscience progressive
Dans les années 1980, si ma mémoire est bonne (!), les choses ont commencé à changer : d’une part, l’administration a commencé à nous faire peur en interdisant toute diffusion d’œuvre audiovisuelle si les droits n’étaient pas réglés. Des inspecteurs du CNC étaient même censés rôder dans les établissements pour surveiller l’application de ces mesures (!) On racontait que l’un ou l’autre chef d’établissement avait fait enfermer toutes les cassettes VHS dans une armoire fermée à clef …
Surtout, nos « autorités » ont commencé à sérieusement s’intéresser au problème de l’utilisation de séquences filmées pendant le cours d’histoire,, par exemple en initiant des formations auprès des professeurs stagiaires et en développant des stages spécifiques dans le Plan Académique de Formation (en Alsace, il y a eu chaque année jusqu’à une demi-douzaine de journées de stages assurées par José Clementé, Dominique Chansel, Marcel Wander et moi-même selon les époques). Le plus intéressant dans ces stages a été de bien faire passer le message de Marc Ferro, à savoir que le film est un « document historique » à part entière , et qu’il doit être soumis à la même démarche critique qu’une autre source. Bref, qu’utiliser des séquences cinématographiques exige des enseignants un réel travail en amont…Ainsi, une nouvelle génération d’enseignants a introduit le cinéma dans ses cours, de manière assez systématique et appropriée, et avec une rigueur qui n’était pas toujours de mise auparavant.
Des structures sont apparues comme Collégiens au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma, qui ont permis d’attirer vers les salles obscures des milliers d’élèves : même si le choix des œuvres est parfois contestable, la qualité de l’accompagnement pédagogique était et est appréciable : des dossiers pédagogiques sont fournis aux enseignants, qui peuvent également suivre des stages sur les films concernés. Au niveau local, beaucoup d’initiatives ont alors vu le jour. Rien que dans le département du Bas-Rhin , sont apparues trois associations constituées par des enseignants qui ont organisé des programmations à destination des publics scolaires, de la maternelle à la Terminale : Les Rencontres cinématographiques d’Alsace à Strasbourg, le ciné-club de Wissembourg, Educiné dans la région de Molsheim.
Depuis l’avènement d’internet, de nombreux sites, comme cinehig.clionautes.org, proposent aux enseignants de notre discipline des séquences pédagogiques « clefs en mains », souvent très bien faites…
Aujourd’hui, une situation ambiguë
Aujourd’hui, nous sommes submergés par des flots de productions audiovisuelles de toute sorte, venus de toute part, et notamment sur internet, alors qu’on nous demande de préparer aussi nos élèves à la lecture de l’image. Le programme d’histoire des arts de troisième par exemple suggère fortement aux professeurs l’étude de certains chefs d’œuvres cinématographiques (les plus cités sont Les Temps modernes, Le cuirassé Potemkine, la Grande Illusion). Le ministère a établi un modus vivendi avec la profession pour que les enseignants puissent utiliser de courts extraits vidéo dans leurs cours , comme on le précise sur les sites spécialisés et l’INA propose un fonds de bandes d’actualités, très riche et très utilisable en classe…Enfin, il semble que les pouvoirs publics et locaux aient pris conscience de la nécessité d’équiper correctement les établissements scolaires : ce n’est pas encore parfait mais les collèges et lycées sans salles pourvues de vidéoprojecteurs sont de plus en plus rares…
Mais bien des problèmes demeurent : le nombre de stages consacrés au cinéma ne cesse de baisser, faute de moyens et une certaine hypocrisie règne sur nos pratiques. Ainsi, le coût des films libres de droits est trop élevé pour les crédits de nos établissements (près de 60 € sur l’excellent site Zéro de conduite.net) , alors que nous savons pertinemment que beaucoup d’enseignants passent de longs extraits, voire des films entiers pendant leurs cours…
Mais peut-on vraiment leur reprocher ? Beaucoup de professeurs ont le sentiment d’être « en mission », quand ils font découvrir aux élèves des films qu’ils n’auraient pas vu autrement…Quand on leur passe un extrait, il arrive d’ailleurs souvent qu’ils demandent à voir …la suite, quitte à le télécharger illégalement sur internet un peu plus tard ! Mais cette sensibilisation au septième art est essentielle car les élèves manquent cruellement d’une culture cinématographique.
Enfin, les enseignants sont soumis à une espèce de pilonnage des distributeurs, dès qu’un film à l’affiche est susceptible d’attirer un public scolaire : nos casiers sont alors inondés d’une abondante publicité, souvent très alléchante. Certes, l’intention est souvent louable et le travail d’accompagnement réel (en général, il existe un dossier pédagogique plutôt bien fait pour les professeurs, des séances d’avant-première sont organisées à leur intention…) Mais, cette promotion est parfois pesante : Sylvie Lindeperg dénonçait dans son livre La Voie des images le battage à son avis excessif qui avait accompagné la sortie du film La rafle de Rose Bosh en 2010. Aller voir le film sur la rafle du Vel d’hiv était présenté comme un « devoir de mémoire » presque obligatoire, Mais pour l’ historienne, il s’agit « un devoir procurant un bienfaisant confort moral, privé d’introspection sur le présent, dépouillé de sa responsabilité à l’égard du futur » (Sylvie Lindeperg). Ainsi, dans ces campagnes de promotion très ciblées qui vise un « marché » scolaire considérable, toutes les occasions ne sont pas bonnes à prendre.
En tout cas, il est clair qu’un tournant a été pris : on peut désormais envisager un cours d’histoire géographie qui intègre une (ou plusieurs) séquence(s) vidéo , même s’il n’y a bien sûr aucune obligation ! Les enseignants disposent de tous les outils à leur disposition pour le faire correctement, si certains hésitent encore à le faire par crainte de ne pas maitriser suffisamment le vocabulaire technique du cinéma….Mais ce sujet fera l’objet d’une autre chronique !
Pascal Bauchard
(24 mars 2015)