Archives pour la catégorie GENERALITES

Il s’agit d’évoquer des questions générales : les liens entre histoire et cinéma, quelques réflexions sur l’exploitation pédagogique des extraits filmiques, des bibliographies sur le sujet…

Sommaire généralités

Présentation rapide du blog

Bibliographie générale sur Histoire et cinéma

De l’intérêt du cinéma pour l’enseignement de l’histoire

Quelques remarques sur l’utilisation pédagogique d’oeuvres audiovisuelles en cours d’histoire

Le film témoin de son temps : chef d’oeuvre ou nanar ?

Vocabulaire simplifié du cinéma

Questionnaire sur les débuts du cinéma

Quelques mouvements importants du cinéma mondial

Histoire technique du cinéma

 

 

 

Le film-témoin de son temps : chef d’œuvre ou nanar ?

   Depuis le célèbre article de Marc Ferro Le film, une contre-analyse de la société dans l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Nora Les lieux de mémoire (Éditions Gallimard, 1984-1992), les historiens ont été amenés à considérer les films comme des documents historiques à part entière. .Et Ferro lui-même a donné l’exemple, en s’intéressant aux archives filmées des manifestations lors des révolutions russes de 1917 et en étudiant plusieurs films de fiction, comme autant de témoignages sur les mentalités de leurs temps .
Assez vite, un problème s’est posé à ceux qui entreprenaient leurs recherche sur le cinéma comme témoin de son temps  : doit-on s’intéresser seulement aux chefs d’œuvre du septième art ou à l’ensemble de la production cinématographique ? Cette interrogation s’est renforcée avec l’ introduction de l’histoire des arts dans notre discipline qui a quelque peu «brouillé les cartes». Quand il s’agit d’évoquer le cinéma , il est bien recommandé de s’intéresser aux œuvres majeures , comme Les Temps modernes, Le cuirassé Potemkine, Octobre, La Grande illusion... Et les manuels de collège et de lycée reprennent cette tendance, en proposant systématiquement des études sur les plus grands films de l’histoire du cinéma. Il semble bien que Marc Ferro ait été sensible à ce problème : parmi les études qu’il a menées sur le cinéma, dans un de ses premiers livres sur le sujets, Cinéma et histoire : il y a bien sûr analysé des œuvres reconnues par tous, comme M. le maudit de Fritz Lang ou Le troisième homme de Carol Reed. Mais il s’est aussi intéressé à des films moins aboutis mais plus emblématiques : dans son ouvrage, il présente une analyse très convaincante d’un film stalinien de 1934, Tchapaiev de Serge et Georges Vassiliev qui reçoit un soutien prononcé des autorités de l’URSS. Bien plus que la plupart des chefs d’œuvre du cinéma soviétique, le film est porteur d’un message clair sur le rôle du parti communiste : le héros de la guerre civile est « mis sur les bons rails », par le commissaire politique chargé de faire respecter la ligne du parti. Ce schéma narratif sera repris à de multiples reprises dans la plupart des films tournés pendant l’époque stalinienne.
Ainsi, un film moyen voire parfois médiocre peut être plus « efficace » d’un point de vue pédagogique qu’un des chefs d’œuvre du septième art…Certains films « passent »  plus ou moins bien auprès de nos élèves et on peut perdre beaucoup de temps à les convaincre que tel film est exceptionnel et aussi un document essentiel sur l’esprit de l’époque..Ma pratique pédagogique tout au long de ma carrière m’a parfois amené à utiliser des films moins prestigieux que les chefs d’œuvre reconnus, car les élèves étaient plus réceptifs à des longs métrages plus lisibles. J’ai ainsi le souvenir d’avoir eu bien du mal à expliquer certaines séquences presque oniriques d’Octobre (le cadavre du cheval blanc accroché au pont suspendu au dessus de la Neva), alors qu’un film d’un cinéaste méconnu d’Azerbaïdjan, Les Feux de Bakou réalisé en 1950, me permettait d’aborder sans difficultés les thèmes de la propagande stalinienne..Pour faire sentir l’importance de cette question, on peut évoquer plusieurs points, depuis la production du film jusqu’à sa réception…

Ne pas méconnaître les conditions de production
Il est déjà intéressant de s’interroger sur les conditions de production du film considéré, pour mesurer les intentions du réalisateur …et de ses marges de liberté. Comme c’est un art populaire, le cinéma de tout temps a été surveillé de près par les autorités politiques car il est susceptible d’avoir une forte influence sur l’opinion, peut-être davantage que d’autres arts dont l’effet est plus limité.
Ainsi, il est bien entendu que la production cinématographique est fortement encadrée dans les dictatures. En URSS, à presque tous les niveaux du processus, depuis l’élaboration du synopsis jusqu’à la réalisation finale, les autorités ne manquent pas d’intervenir, et parfois même de façon contradictoire. Pendant la période stalinienne, le chef suprême garde la haute main et peut être amené à prendre la décision ultime…En particulier, les artistes doivent suivre la ligne imposée par le Parti et Staline. C’est en effet au Congrès des Écrivains en 1934 que prend définitivement forme la théorie élaborée par Jdanov et qui sera appliquée dans tous les domaines artistiques, le « réalisme socialiste ». Cette nouvelle ligne, en rupture avec les tentations avant-gardistes de la période précédente, consiste à produire un art « socialiste dans le fond, réaliste dans la forme ». Il ne s’agit plus de déconcerter le peuple avec des modes d’expression incompréhensibles mais de trouver des formes simples qui permettent de faire passer l’essentiel, à savoir la cause du socialisme. De même, les sujets que doivent traiter les cinéastes sont imposés par le parti de manière planifiée : les grandes figures de l’histoire de la Russie (Pierre le Grand, Alexandre Nevski, Koutouzov…), les « héros » de la révolution et de la guerre civile (Lénine surtout mais aussi Tchapaiev…), les « hommes nouveaux » qui apparaissent avec la société soviétique (kolkhoziens, ouvriers stakhanovistes, scientifiques…)…Les autorités exigent aussi une parfaite lisibilité des scénarii, pour qu’ils soient compréhensibles du public populaire. On retrouve ainsi souvent dans les films soviétiques de l’époque, le « trio infernal » : l’homme du peuple, ouvrier ou paysan, plein de bonne volonté mais un peu naïf, « l’ennemi du peuple », le saboteur étranger ou le koulak hostile au nouveau régime, et enfin l’homme du parti, souvent membre du NKVD, qui montre la ligne juste et rétablit la situation…C’est par exemple ce schéma qui est appliqué dans le célèbre film des Vassiliev, qui raconte la vie d’une figure très populaire de la guerre civile, Tchapaiev . Enfin, ces films « staliniens » ont toujours une « fin heureuse », avec souvent un banquet final qui réunit la communauté et célèbre l’action du parti et de son chef suprême (c’est souvent le cas dans les comédies musicales soviétiques, très appréciées de Staline, comme Volga-Volga ou Les tractoristes…).
On observe la même vigilance dans l’Allemagne nazie, et ce d’autant plus que Hitler et Goebbels, son ministre de la propagande, sont férus de cinéma et qu’ils en mesurent l’extrême influence. Ainsi, le cinéma allemand est « épuré » de ses éléments juifs et le régime encourage la production de films qui répandent la nouvelle idéologie : Goebbels, grand admirateur du cinéma hollywoodien, était d’ailleurs persuadé que les films de divertissement étaient plus efficaces pour transmettre des idées nouvelles. Certains films vont bénéficier du soutien des autorités : on peut citer Le Jeune Hitlérien Quex de Hans Steinhoff (1933), Le Juif Süss de Veit Harlan (1940), Le Juif éternel de Fritz Hippler la même année…ainsi que ceux de Leni Riefensthal, Le Triomphe de la volonté (1936) et Les Dieux du stade (1938). Plus étonnant, il semble bien que les nazis aient réussi à influencer les studios américains, afin qu’ils produisent des films qui ne soient pas « offensants » pour la nouvelle Allemagne, selon les travaux du chercheur américain Ben Urwand. En Californie même, le consul allemand Georg Gysling est ainsi convié par Louis B. Mayer, dirigeant de la MGM à donner son avis sur les productions en cours. Jusqu’en 1940, le cinéma américain est d’une grande prudence quand il s’agit d’évoquer le régime nazi.
Mais on aurait tort de penser que les démocraties occidentales se sont désintéressées de la production cinématographique de leur propre pays : lors des guerres mondiales, les états ont bien sûr mis en place une censure vigilante sur la production des films documentaires et de fiction (voir article dans ce blog sur la première guerre mondiale à l’écran). Mais même en dehors des conflits, les démocraties sont conscientes de l’influence du cinéma sur leurs opinions publiques. Pour ne prendre qu’un exemple très connu, les studios hollywoodiens vont pendant près de trente ans devoir respecter les règles du code Hays établies en 1927 (les Don’t and Be Carefuls). Ce code, présenté sous forme de commandements, était censé purifier le cinéma américain de toute déviance de type politique, sociale, raciale et religieuse. Cette rigidité voulu par l’esprit puritain du temps a pu brider les scénaristes des studios : elle les a aussi amené à faire preuve d’esprit créatif, à manier l’art de l’ellipse (sur ce point, les scénaristes des screwball comedies ou Alfred Hitchcock excellent à contourner les règles ). Des négociations souvent âpres ont lieu entre les studios et les représentants de Hays, pour que les films obtiennent l’ attribution d’une certification conforme par la commission, pour éviter un échec commercial. Ce carcan ne sera réellement remis en cause qu’au début des années 1960 et surtout avec l’avènement de ce qu’on a appelé le New Hollywood (la génération des Coppola, Scorcese, Friedkin…Cimino). De toute façon, les studios hollywoodiens, même s’ils ont parfois produit des œuvres cinématographiques d’un très haut niveau, n’ont jamais caché qu’ils considéraient le cinéma comme une industrie qui se devait d’être rentable : la question esthétique était secondaire pour la plupart des grands patrons de studios , même si certains avaient aussi le souci d’offrir des « produits » de qualité (les mémos innombrables du producteur de Darryl Zanuck à Alfred Hitchcock traduisent son implication dans le processus de création).

Les niveaux de lecture du film
Comme pour tout autre art, le cinéma possède des formes qu’on peut analyser, qui ont une histoire et qui se sont transformées. Il y a un monde entre le montage des films soviétiques des années 1920-1930, les plans-séquences utilisés par Hitchcock ou Orson Welles, le montage cut pratiqué par Jean Luc Godard dans A bout de souffle.. Si l’on n’est pas obligé de rentrer dans le détail d’une analyse formelle, reste à déterminer quelle part doit prendre cette présentation dans un cours d’histoire quand même destiné à faire transmettre des notions ou des connaissances, surtout quand on utilise les extraits d’un film reconnu pour ses qualités esthétiques.
Ainsi, certaines séquences de La ligne générale peuvent se lire à différents niveaux : on pense notamment à celle où Marfa, la jeune paysanne, présente la nouvelle écrémeuse aux paysans très méfiants. Sur un plan cinématographique, on insistera sur la cadence très rapide des plans, la diversité des cadrages souvent en contre-plongée, le contraste des éclairages -les visages sont violemment éclairés avec des arrière-plans très sombres, la typographie très étudiée des intertitres…Mais cette analyse des formes si particulières à Eisenstein, risque de faire passer au second plan le message politique, martelé par les autorités soviétiques : la modernisation des campagnes passe par la mise en kolkhozes, qui va permettre la mécanisation des travaux agricoles (on sait d’ailleurs que Staline est intervenu personnellement sur ce film et qu’il s’est entretenu avec le réalisateur). Pour des raisons de temps, il est difficile de mener plusieurs analyses de front. Il est aussi parfois difficile de faire saisir aux élèves l’essentiel de la séquence considérée. Des difficultés du même ordre apparaissent quand il s’agit d’utiliser un film comme La Grand illusion : beaucoup de manuels transcrivent le dialogue de la fameuse séquence où les deux officiers , de Boeldieu et Von Rauffenstein, discutent dans la chapelle du château. Cette scène est censée traduire la « collusion de classe » qui existe entre les deux hommes, plus forte que la solidarité entre personnes d’une même nation. Mais une telle analyse est difficile à mener car elle nécessite des références que les élèves ne possèdent pas toujours. Elle est bien sûr possible mais nécessite d’y consacrer du temps, alors qu’il nous est compté et sur un point qui n’est pas essentiel dans le programme. Là encore, il nous est demandé de faire des choix… Or, il existe des solutions alternatives pour évoquer le pacifisme des Français à la fin des années 1930, on peut recommander le film d’Abel Gance  J’accuse dans sa version de 1938 : le célèbre cinéaste emploie les grands moyens -y compris les plus grandiloquents-pour faire passer son message pacifiste : dans une séquence hallucinée, les morts de Verdun sortent de leurs tombes et viennent hanter les vivants : l’effet est d’autant plus terrifiant que le cinéaste a recruté pour l’occasion d’authentiques « gueules cassées » dans les hôpitaux militaires, dont les visages meurtris sont comme des masques horribles à contempler. Plus tard, tout le pays s’arrête, comme un lointain écho du mot d’ordre de grève générale que les socialistes comptaient lancer en 1914 pour arrêter la guerre. Enfin, des « États généraux universels »  votent que « la guerre est solennellement abolie entre tous les états et le désarmement immédiat est décrété à l’unanimité : la guerre est morte, le monde est rénové ». Et les morts, enfin satisfaits de l’établissement de cette paix universelle, s’en retournent vers l’ossuaire de Douaumont. Pour l’avoir « testé » sur des élèves, je peux affirmer son efficacité pédagogique !

Le problème du public et de la réception des films
Le cinéma est sans doute un des arts les plus populaires au XX° siècle et en ce début du XXI° (même si la fréquentation des salles a diminué, on peut considérer que les films passent désormais par d’autres canaux, des chaînes télévisées aux différents supports sur internet). Aussi, la question peut se poser de savoir si le film proposé a eu une audience importante , pour mesurer le degré d’adhésion du public aux idées qu’il véhicule. Si telle œuvre cinématographique est plébiscitée par le public, le cinéma paraît alors un indicateur très fiable des mentalités d’une époque, mais l’histoire de cet art nous montre qu’il y a pu y avoir un certain décalage. Ainsi, on sait que certains films d’Eisenstein ont été mal reçus ou mal compris par le public de la Russie bolchevique. A la fin de son film La Grève, le cinéaste a mis en place un montage alterné de scènes tournées dans un abattoir, où des animaux étaient égorgés, et d’autres montrant les soldats tsaristes tirant sur la foule. Son idée était bien sûr de provoquer l’indignation des spectateurs, qui devaient être en principe troublés par le choc des images alternées. Or, selon Eisenstein lui-même, le public des campagnes n’a pas compris clairement le message, considérant ces scènes d’abattoir comme tout à fait normales. Le réalisateur a aussi connu quelques déboires avec son film Octobre, qui comporte de nombreuses séquences tournées selon le principe du « montage des attractions » : il semblerait que le public populaire ait été peu sensible à ces constructions savantes et a déserté les salles où le film était projeté. D’ailleurs, les opposants d’Eisenstein au sein du milieu du cinéma soviétique ne se sont pas privés pour l’attaquer sur son goût pour le « formalisme »…Pendant la période stalinienne, Eisenstein va connaître une carrière compliquée par l’intervention des instances d’état : quelques succès comme Alexandre Nevski ou la première partie d‘Ivan le terrible mais aussi des échecs sans appel : La ligne générale est profondément remaniée après des interventions personnelles de Staline ; Le pré de Béjine est complètement censuré et même détruit ; la deuxième partie d’Ivan Le terrible n’est pas diffusée.
Cette dimension de la réception des films est donc pour nous importante : d’autant que le public peut voir dans certaines œuvres ses propres préoccupations, parfois au delà des intentions de leurs auteurs…En son temps, Les Visiteurs du soir de Marcel Carné , qui est censé se dérouler au Moyen-Age, a été interprété par le public comme une métaphore de la période de l’Occupation : la dernière scène en particulier a fait l’objet d’une lecture patriotique : les deux amants sont changés en pierre par le Diable mais leurs cœurs continuent de batte, comme le cœur de la Résistance dans la France opprimée… Mais le cinéaste est moins péremptoire quant à ses intentions : dans son livre de souvenirs, il précise juste que « le film était très attendu. On se murmurait en effet de bouche à oreille que cette histoire était pleine d’allusions à la situation du moment, c’est à dire à la France sous la botte de l’Occupant ». Mais il faut être prudent avec ce genre d’interprétations : Jacques Siclier et François Truffaut pensent qu’on a été trop loin  en ce sens : ce dernier « n’adhère pas à cette théorie patriotique selon laquelle les films historiques ou fantastiques tournés pendant cette période auraient consciemment délivré un message courageux et codé en faveur de la Résistance ». Mais, si on peut s’interroger sur les intentions de l’auteur, il est quand même avéré que le public de l’époque l’a ressenti comme une allusion à la France résistante, et du point de vue l’historien, c’est bien ce qui importe.
Récemment, on a pu assister à un décalage entre le succès de certains films populaires et l’état réel de l’opinion publique, tel qu’il est révélé par les sondages (et les élections…). Comme l’a remarqué Jacques Mandelbaum dans un article publié il y a peu (Comédie : le bain de jouvence d’une République défaite ; Le Monde, 29 juillet 2014), les spectateurs français ont plébiscité ces dernières années des films d’un genre particulier : Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boom, Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache, La Grande Vadrouille de Gérard Oury et il y a peu , Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ? de Philippe de Chauveron. Ce qu’ont en commun ces comédies, c’est de « reconstituer le corps national mis à mal par les assauts du temps (…) Et le critique de montrer que ces différents films sont en quelque sorte des feel-good movies pour une République bien peu sûre de ses valeurs. Mandelbaum relève par exemple que La Grande vadrouille est « une réconciliation socio-nationale (..) passant par pertes et profits Vichy, la collaboration et l’opposition entre gaullistes et communistes ». Dans Bienvenue chez les Ch’tis, il voit « la position régionaliste de notre pays face au bulldozer de la mondialisation ». Quant au dernier succès Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ?, il permet une réconciliation familiale et donc nationale, grâce à « la vertu républicaine de la France » qui permet de surmonter le racisme latent de la population…En d’autres termes, ces films permettent aux Français de se voir plus beaux qu’ils ne sont : le cinéma a alors des vertus républicaines thérapeutiques. Comme l’écrit Jean-Baptiste Thoret, « on a certes les films qu’on mérite mais surtout ceux qu’on désire ». Et l’image que nous renvoient ces comédies est pour le moins flatteuse mais peu réaliste.

Un chef d’œuvre et un film-témoin
Pour conclure, on peut dégager quelques idées fortes. D’abord, certains films moyens sont parfois plus faciles à exploiter que des chefs d’œuvre du cinéma, qui demandent des spectateurs une plus grande attention et des références parfois assez pointues. On peut s’y résoudre, d’autant que les programmes peuvent nous y inciter. Dans le cadre de l’histoire des arts, il est ainsi bien précisé qu’un des thèmes est la propagande artistique (dans la thématique Arts, États et pouvoirs, il est recommandé d’étudier « la représentation et mise en scène du pouvoir (propagande) ». Cette recommandation donne aux enseignants la possibilité d’étudier des films peut-être non reconnus pour leur valeur artistique mais pour le message ou le témoignage qu’ils transmettent.
Mais surtout, et heureusement pour notre discipline, certains films sont à la fois des œuvres de grande qualité et des témoignages de première main sur l’esprit de leur époque. De ce point de vue, les films de Charlie Chaplin sont très « utilisables » car en général, ils ont rencontré un grand succès populaire et sont porteurs de messages politiques forts. Cela peut être l’occasion d’évoquer le grand cinéaste et il peut être intéressant de souligner le caractère orignal de ce réalisateur, dont le succès populaire fut considérable mais qui fut aussi un franc-tireur dans le système hollywoodien. Assez rapidement, il devient autonome et exerce un contrôle total sur ses créations, qu’il mettait longtemps à réaliser, à l’inverse de ses collègues soumis à l’organisation rationalisée des studios. Ses projets ont été souvent mal perçus : son court -métrage Charlot soldat, sorti en 1918, rencontre une certaine hostilité de critiques qui lui reprochent son manque de tact. Or, il se trouve que la représentation de la guerre des tranchées est finalement assez fidèle et en tout cas très appréciée des spectateurs combattants ! Sa manière d’aborder le taylorisme dans Les Temps modernes lui a valu l’inimitié des milieux patronaux ; il entreprend son film Le Dictateur, violente dénonciation du nazisme, en un temps où les studios sont d’une très grande prudence sur le sujet…Pour La Grande illusion de Jean Renoir, comme nous l’avons écrit plus haut, une exploitation pédagogique est possible mais à condition d’y consacrer un certain temps. D’autres possibilités sont offertes par certains cinéastes auxquels on ne pense pas forcément : par exemple, les films de Jacques Tati, comme Mon oncle (1958) ou Playtime (1967) renvoient très clairement aux transformations urbaines de la France des Trente glorieuses…Il existe donc moyen de concilier une approche esthétique des films considérés et aussi d’en tirer des enseignements d’ordre historique et sociologique. Mais il faut se garder de raccourcis imprudents, du genre « Eisenstein , cinéaste stalinien » : s’il est clair que le grand réalisateur soviétique était tout acquis à la cause communiste, ses rapports avec les autorités ont été complexes à partir des années 1930..Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas rentré dans le rang facilement, comme le montre le sort de certains de ces films comme Le Pré de Béjine ou la deuxième partie d’Ivan le Terrible
En résumé, le choix d’une œuvre cinématographique dans les cours d’histoire va dépendre de plusieurs facteurs : le temps imparti dans le programme, la valeur esthétique, la « lisibilité pédagogique » . Selon les cas, on pourra privilégier les « grandes œuvres du répertoire » mais il ne faut pas s’interdire la projection de films moins prestigieux mais qui témoignent bien de l’esprit de leur temps…

De l’intérêt du cinéma pour enseigner l’histoire…

Le film, un document historique à plusieurs titres
Depuis les années 1970, l’Histoire semble avoir enfin pris en compte sérieusement le cinéma, qu’il soit fictionnel ou documentaire. Les travaux pionniers de Marc Ferro ou de Pierre Sorlin ont fait comprendre à la communauté des historiens tout l’intérêt du septième art pour étudier l’histoire contemporaine. En particulier, les films constituent une source documentaire importante quand il s’agit de s’interroger sur les mentalités collectives d’une époque (l’étude de Ferro sur Tchapaiev comme emblématique de l’idéologie stalinienne, les travaux de François Garçon sur le cinéma français des années 1930, qui montrent l’imprégnation des idées antisémites et antiparlementaires dans la société française, les recherches de Sylvie Lindeperg sur la représentation des camps dans les actualités cinématographiques de l’immédiate après-guerre…) Cette dimension historique des films d’une période donnée est soulignée par Antoine de Baecque, qui cite ainsi le philosophe Walter Benjamin : « le cinéma recueille et conserve dans l’image l’œuvre d’une époque, et dans l’époque le cours entier de l’histoire » : de Baecque a présenté l’état de ses recherches dans ce sens dans son livre L’Histoire-Caméra, publié en 2008.  Et l’on pourrait citer de nombreux auteurs qui ont étudié des phénomènes historiques à travers l’analyse du corpus filmique de la période considérée (Laurent Veray pour la première guerre mondiale, Benjamin Stora pour la guerre d’Algérie…). Dans le cinéma le plus contemporain, on peut estimer que certains films sont de bons indicateurs de l’opinion de leur propre pays, et en particulier dans les régimes dictatoriaux ou autoritaires. En URSS, La petite Vera, de Valeri Pitchoul, sorti en 1988, donne une image pour le moins dérangeante de la société soviétique, au moment même où Gorbatchev entame ses tentatives de réformes. Toujours en Russie, le dernier film d’Andreï Zviaguintsev, Léviathan, est une description cruelle de la société russe sous Poutine (au cas où l’on ne comprendrait pas, le maire, personnage corrompu et brutal, est cadré sous le portrait du maitre de Kremlin…) On peut s’étonner d’ailleurs que ce film ait été en partie financé par le ministère de la culture : pour le ministre, il s’agit ‘ » un film talentueux mais qui ne lui plaisait pas « …Il devrait cependant représenter la Russie pour les Oscars du meilleur film étranger. En Chine, les films de Jia Zhang Ke, très appréciés en Occident et souvent récompensés, comme The World (2004), Still Life (2006), A Touch of Sin (2013),  peuvent se lire comme des critiques plus ou moins explicites des transformations récentes du pays, vers un capitalisme de plus en plus implacable. Enfin, le célèbre film d’Asghar Farhadi, La séparation sorti en 2011, comporte des scènes qu’on peut interpréter comme une critique du régime islamiste : notamment quand l’héroïne Simin fait part de son désir de quitter le pays, le juge semble étonné qu’elle veuille s’éloigner d’un pays dirigé selon les préceptes de « la vraie religion ». Mais reste le problème de la projection de tous ces films critiques dans leurs propres pays : la diffusion est souvent très difficile, confidentielle, voire interdite (il semble que cela soit le cas pour certains films de Jia Zhang Ke…).

Les films, des métaphores de leur temps
Il est aussi possible de considérer certains films comme des métaphores sur leur époque. On a pu ainsi relever qu’au moment de la guerre froide, certains westerns comme High noon ou Johnny Guitar, constituent en fait des dénonciations de l’hystérie antirouge de l’époque Mac Carthy . Ce dernier film, réalisé par Nicholas Ray, cinéaste plutôt libéral, est interprété par des acteurs «engagés » : Ward Bond, nettement marqué à droite et Sterling Hayden, homme de gauche qui «a donné des noms» à la Commission des activités anti-américaines…Les films de science-fiction de cette période, très nombreux, évoquent souvent des envahisseurs détenteurs d’armes de destruction terrifiantes, venus attaquer la civilisation occidentale (c’est à dire américaine). Le célèbre film de Wajda, Danton, réalisé à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, peut s’interpréter comme une dénonciation du régime communiste qui existe alors en Pologne (le cinéaste est adhérent du syndicat Solidarnosc, en lutte avec le pouvoir). Dans les années 1960 aux États-Unis, certains longs métrages comme Little big man ou Soldier blue sont des critiques du comportement de l’armée américaine au XIX° siècle, alors que celle-ci est engagée au Vietnam. Ces quelques exemples montrent bien qu’un film, comme toute œuvre d’art d’ailleurs, peut s’interpréter à différents niveaux et peut être une source d’information précieuse sur l’époque qui l’a vu naître. Un cas emblématique est celui de La Grande Illusion de Jean Renoir : le film connaît un vrai succès populaire à sa sortie en 1937, tant son message pacifiste semble être en phase avec l’opinion publique de cette époque. Par contre, sa diffusion après guerre est peu appréciée par un public qui ne comprend pas qu’on lui présente des « bons Allemands », alors que les sentiments germanophobes de la population sont exacerbés.

Quel crédit accorder aux films «historiques »?
Plus délicat est le problème que pose le cinéma «historique», c’est à dire qui évoque une période passée, en procédant à une reconstitution. Si les péplums italiens et américains, les films d’aventures hollywoodiens ont un charme certain, ils ne présentent pas toutes les garanties de sérieux indispensables (dans Le marquis de Saint Evremont de Jack Conway, les sans-culottes parisiens s’emparent de la Bastille en chantant la Marseillaise…). Pour des raisons d’efficacité narrative, le cinéma s’intéresse plus aux personnages forts qu’aux communautés humaines et de ce point de vue, l’histoire fournit aux scénaristes un vivier presque inépuisable de figures hautes en couleur (de Jeanne d’Arc à Bonaparte, en passant par Louis XIV ou Marie-Antoinette encore récemment dans les films de Sofia Coppola et Benoît Jacquot..).
Malgré tout, certains de ces films sont intéressants car leurs réalisateurs ont eu un réel souci de respecter une certaine crédibilité historique : ils réussissent à mettre en scène des évocations convaincantes des périodes considérées (on pense à des cinéastes comme Rossellini à propos de Louis XIV, René Allio qui évoque les Camisards du XVIII° siècle, Tavernier sur plusieurs périodes, du Moyen Age à la première guerre mondiale : ce cinéaste a un goût particulier pour les périodes ou les lieux un peu oubliés de l’historiographie : la Régence dans Que la fête commence , ou la guerre de 14-18 dans les Balkans, évoquée dans le film Capitaine Conan…) La plupart d’entre eux ont consulté les spécialistes des époques qu’ils décrivent : Philippe Joutard pour Les Camisards de René Allio, Jacques Legoff pour La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier.
Il est aussi des universitaires qui ont intégré le cinéma historique comme objet de recherche lorsqu’ils étudient les représentations d’une période du passé : au moment du bicentenaire de la Révolution française, plusieurs ouvrages ont ainsi été publiés sur l’évolution de la représentation de la période révolutionnaire à l’écran : plus récemment, le célèbre médiéviste Jacques Legoff s’est intéressé à l’image cinématographique du Moyen Age. Depuis ce temps, les études n’ont cessé de se multiplier, couvrant de nombreuses périodes et filmographies (une étude particulièrement intéressante : celle de René Prédal sur Le cinéma et la crise de 1929 …) ; Pour se convaincre de la vitalité de la recherche dans ce domaine, il suffit de se rendre sur le site de l’ANRT (Association Nationale de Reproduction des Thèses) et de constater que les travaux consacrés au cinéma se chiffrent par dizaines !

Que faire des images d’archives ?
Enfin, il est un domaine d’une grande richesse pour notre discipline, c’est celui des actualités cinématographiques et télévisées. Il commence à faire l’objet de travaux universitaires d’une grande qualité (on pense par exemple à l’étude de Laurent Veray sur les films réalisés par le service des armées pendant la première guerre mondiale ou aux recherches de Sylvie Lindeperg sur la représentation des camps dans les actualités cinématographiques de l’immédiate après-guerre). Il est très important de connaître dans quel contexte ces productions ont été réalisées, afin d’en mesurer la fiabilité (ces images sont souvent la matière première des documentaires historiques mais le plus souvent, elles sont présentées sans qu’en soit précisée l’origine exacte, et sans aucun recul critique..). Le travail de Sylvie Lindeperg a consacré au film d’Alain Resnais Nuit et brouillard, est une ressource indispensable pour qui veut présenter dans quel contexte ce documentaire, constamment utilisé par les enseignants d’histoire, a été produit. Très récemment encore, Christian Delage a étudié le parcours de George Stevens, cinéaste hollywoodien qui a filmé les camps lorsqu’ils ont été libérés.
Il faut aussi porter un regard critique sur certaines émissions récentes, qui sont présentées comme des « documents exceptionnels », « qui font aimer l’histoire », au prétexte qu’elles sont très populaires et plus attractives qu’un cours magistral infligé par un professeur ennuyeux :  c’est en tout cas l’argument utilisé par Isabelle Clarke et Daniel Costelle, les producteurs d’Apocalypse, pour expliquer leur démarche. Le marché des images d’archives rajeunies par la colorisation semble être en plein essor ces dernières années et les émissions du genre « la première guerre mondiale en couleurs » se sont multipliées. Ainsi, ces documentaires télévisés, souvent très soignés comme la série des Apocalypse, et qui rencontrent un réel succès d’audience, doivent être soumis à la critique : certains chercheurs comme Laurent Veray , ont pris leurs distances avec ce genre d’émissions, même si elles sont appréciées, par le public et… beaucoup d’enseignants !

Une documentation désormais abondante
Les enseignants d’histoire peuvent désormais aborder le cinéma en s’appuyant sur un ensemble de travaux conséquent et de grande qualité, que nous citons dans différentes bibliographies, alors que sont apparues de nombreuses revues spécialisées comme Cinémaction, Les cahiers de la Cinémathèque ou 1895, qui s’intéressent au rapport entre histoire et cinéma (on peut aussi signaler le festival du film d’Histoire de Pessac qui a lieu chaque année en novembre, ainsi que l‘excellent site cinehig.clionautes.org) (voir les indications bibliographiques données par ailleurs sur ce blog).

La place du cinéma dans l’enseignement secondaire
Au niveau de l’enseignement secondaire, les recommandations qui accompagnent les programmes, du collège au lycée, insistent bien sur les documents iconographiques, et en particulier le cinéma. Ainsi, à propos du chapitre sur les mémoires de la seconde guerre mondiale et de la guerre d’Algérie qui figure au programme des terminales L, S, et ES, il est bien indiqué qu’il est souhaitable d’utiliser les films, « vecteurs de mémoire » comme dit Henry Rousso, comme supports pédagogiques. Certains films essentiels comme La Bataille du rail, Le Chagrin et la Pitié, ou La Bataille d’Alger sont ainsi mentionnés…
De plus, les professeurs ont de plus en plus intégré l’utilisation de documents cinématographiques dans leur pratique pédagogique (que ce soit une simple séquence ou un film diffusé dans son intégralité), au moment même où l’apprentissage de la lecture de l’image est devenu une nécessité civique…Une autre dimension non négligeable est de faire connaître aux élèves quelques chefs d’œuvre du patrimoine cinématographique, passé ou plus contemporain (les films de Chaplin, Renoir, Eisenstein, ou de Tavernier, Polanski pour citer des cinéastes plus récents…). Comme on le sait, l’Histoire des Arts est devenue une matière importante de l’enseignement secondaire : elle fait même l’objet d’une épreuve orale en troisième et cette évaluation est comptabilisée pour l’obtention du Brevet des collèges.
Dans l’académie de Strasbourg où j’ai enseigné, depuis une trentaine d’années un petit groupe d’enseignants motivés, s’est intéressé à ce sujet. José Clemente, Faruk Gunaltay, Dominique Chansel, Marcel Wander, Hubert Schang, Danièle Klingler et bien d’autres encore se sont investis dans des associations pour la promotion du cinéma en milieu scolaire. A cette occasion, ils ont rédigé de nombreux dossiers pédagogiques sur les films projetés et ont réfléchi à l’utilisation pédagogique du cinéma en cours d’histoire. Dans le cadre de l’IUFM ou du PAF, ils ont animé des stages auprès des professeurs, avec le soutien constant des inspecteurs qui se sont succédé dans notre région. Des structures de même nature existent dans beaucoup d’académies.
Ainsi, les enseignants disposent des outils nécessaires à une utilisation pédagogique intelligente du cinéma dans notre discipline, en respectant un des principes essentiels de la démarche historique : la critique des sources.

    Dans ces conditions, le cinéma peut être utilisé par l’histoire, à la fois pour des objectifs pédagogiques et –pourquoi le cacher ? –pour le plaisir des enseignants et de leurs élèves…

Quelques remarques à propos de l’utilisation pédagogique d’œuvres audiovisuelles en cours d’histoire

    L’utilisation de documents audiovisuels semble être pleinement rentrée dans les mœurs de notre discipline. Grâce aux stages de formation mis en place dans les différentes académies et aux nombreux ouvrages publiés sur la question, les professeurs d’histoire ont compris tout l’intérêt d’intégrer des documents de cette nature, mais quelques remarques s’imposent à propos de certains aspects de cette pratique.

-L’origine des documents audiovisuels :
Il est d’abord essentiel d’identifier clairement l’origine des documents qu’on utilise : documents d’archives, films de fiction de l’époque qu’on étudie, films dits « historiques » (et en particulier pour la période précédant 1895…).

Les archives
A propos des documents d’archives, il faut aborder leur analyse avec précaution : un film de propagande tourné sur ordre ne peut être décrypté de la même façon qu’un reportage filmé par la presse indépendante. On sait ainsi que les images que l’on présente à propos de la première guerre mondiale sont d’origine très variée et elles ne sont pas toujours authentiques (manœuvres de 1914 censées illustrer la bataille de la Marne, scènes d’attaques reconstituées au fort de Vincennes… ). Le problème est d’actualité, si l’on en juge par le succès de documentaires comme Apocalypse, qui prétend habiller les images d’archives en noir et blanc, en y rajoutant des couleurs et des sons, au prétexte qu’ils sont plus « attrayants » pour les élèves. Pour le moins, ces procédés méritent d’être discutés. Il est donc utile de s’interroger sur l’origine des documents d’archives : ces images proviennent de sociétés dûment répertoriées (en France, en 1914, on en compte plusieurs comme Pathé, Gaumont, Eclair…) et de toute façon complètement « encadrées » dans les régimes autoritaires. On sait ainsi que des consignes étaient données aux opérateurs pour filmer plutôt en contreplongée, ce qui permettait à certains personnages d’apparaître plus grands qu’ils n’étaient en réalité. On sait aussi avec quel soin Hitler s’entrainait à « prendre la pose », en répétant devant son miroir, comme le montrent les photos d’Heinrich Hoffmann. Parfois, ces images d’archives peuvent avoir été réalisées par des amateurs et apportent un éclairage différent et précieux (par exemple, les quelques séquences tournées clandestinement dans les rues de Moscou par la femme de l’ambassadeur britannique dans les années 1930). En tout état de cause, il faut toujours rappeler aux élèves la source des extraits filmés : les séquences tournées dans le ghetto de Varsovie sont le travail des services de Goebbels, à des fins de propagande…Cette identification des sources n’est pas toujours rigoureuse dans certaines émissions documentaires.

Les films de fiction de leur temps
D’abord, comme pour les archives filmées, il faut prendre conscience que les cinéastes ont de fortes contraintes, à la fois économiques et politiques. Dans les dictatures, l’encadrement de la production cinématographique est très vigilante, notamment parce que le cinéma est l’art populaire par excellence, susceptible de toucher les foules. En URSS, tout le processus de création peut être remis en cause par des organismes de censure : dans ce cas, le film est « laissé sur l’étagère », selon l’expression du temps. Un des plus fameux exemples est le film Le Pré de Béjine, réalisé par Serguei Eisenstein en 1937, mais qui ne fut jamais diffusé. Même des films réalisés dans des conditions normales, dans des pays à priori démocratiques, sont soumis à certaines règles : dans les studios hollywoodiens, les cinéastes vont devoir se soumettre au fameux code Hays pendant près de trente ans, à partir de 1927 : il s’agit de préceptes moraux et politiques, très représentatifs de l’idéologie puritaine alors dominante dans la société américaine, que les scénaristes, réalisateurs, et producteurs doivent respecter, faute d’être mis à l’index…Et bien sûr , et en particulier aux États-Unis, le cinéma est considéré comme une industrie de divertissement, susceptible de rapporter des profits.
En ce qui concerne les films de fiction de l’époque étudiée, on doit s’interroger sur la pertinence des œuvres choisies. Le film de Jean Renoir, La Grande illusion, est à juste titre présenté comme un des chefs d’œuvre du septième art mais il est aussi proposé comme emblématique du pacifisme de la fin des années 1930 . Cette lecture est possible mais difficile à appréhender pour des élèves de collège et peut-être aussi pour des lycéens. En tout cas, le temps nécessaire pour exploiter correctement un tel film risque d’être incompatible avec la durée prévue par les programmes pour traiter le chapitre considéré… Sur ce sujet du pacifisme, nous pouvons recommander plutôt le film d’Abel Gance, J’accuse, sorti en 1938 (il s’agit d’une deuxième version d’un premier long-métrage réalisé en 1917). La dernière séquence du film de Gance est d’une grande force : les morts tombés en Verdun sortent de leurs tombeaux pour empêcher un nouveau conflit (le réalisateur a même utilisé comme figurants des vraies « gueules cassées », qu’il a cherché dans les hôpitaux militaires),, toutes activités s’arrêtent, et des états généraux universels proclament la fin de toutes les guerres…La lecture de cet extrait est tout à fait à la portée de nos élèves, tant les intentions du cinéaste sont évidentes.
Il est parfois utile de sensibiliser les élèves à la valeur métaphorique de certains films, qui pour différentes raisons, peuvent être lus à plusieurs niveaux (les films de science-fiction américains pendant la guerre froide, qui évoquent « le choc des mondes » ou les westerns des années 60 au moment de la guerre du Vietnam, qui dénoncent les abus de l’armée des États-Unis…).

Les films historiques
Enfin, la plupart des films historiques sont loin de présenter toutes les garanties de sérieux que l’on pourrait espérer, lorsqu’il s’agit de reconstituer des périodes du passé (et l’on pense notamment aux films hollywoodiens, bien sûr distrayants mais parfois peu crédibles historiquement…). Un cinéaste aussi prestigieux que Wajda qui tourne Danton pour le bicentenaire de la Révolution s’est surtout attaché en évoquant la Terreur, à dénoncer un régime totalitaire comme celui qui sévit alors dans son pays natal, la Pologne du général Jarulewski. Il peut être intéressant de travailler avec les élèves sur l’image que le cinéma nous donne de tel épisode historique mais là encore, le temps nous est compté et il faut faire des choix…

L’exploitation pédagogique des documents audiovisuels :
Le choix des séquences
Quand on utilise des séquences filmées dans le cadre du cours d’histoire, se pose le problème du choix de l’extrait le plus significatif (outre les considérations juridiques qui doivent nous inciter à la prudence, il est plus judicieux d’utiliser une séquence assez brève afin de l’exploiter au maximum). Certains éditeurs scolaires commencent d’ailleurs à proposer des montages, plus ou moins bien faits, de courtes séquences de films d’époque.

Le film, un document historique comme un autre
Les élèves doivent bien prendre conscience qu’un document audiovisuel est un document comme un autre et qu’à ce titre, on doit étudier le contexte dans lequel il a été conçu, travailler sur sa forme, expliciter son contenu (à priori, ce genre de document est considéré par les adolescents comme plus crédible que tout autre, car, pour paraphraser une formule célèbre, « on croit ce qu’on voit » : une certaine vigilance est donc d’autant plus nécessaire…) . A propos de la lecture d’images, il faut décomplexer les enseignants d’histoire qui n’auraient pas une totale maîtrise du vocabulaire et de la grammaire cinématographiques : un savoir minimum suffit pour évoquer les quelques effets de caméra utilisés par exemple dans les films de propagande (gros plans sur les visages aryens dans les documents nazis ou sur de viriles figures prolétariennes dans le cinéma stalinien, caméra placée en contre-plongée pour « grandir » Mussolini, …). Il n’est pas rare d’ailleurs que nos élèves, bien informés de quelques manipulations courantes à propos de ce type de séquences, deviennent hypercritiques devant tout document audiovisuel.

Travailler sur les extraits filmiques
En tout cas, il est nécessaire que la séquence diffusée donne lieu à un véritable travail de la part de l’élève, sous forme orale ou écrite, selon le temps dont on dispose et le niveau de la classe. On peut même concevoir toute une partie du cours qui se ferait à partir de documents audiovisuels, choisis pour les informations qu’ils apportent et les problèmes d’interprétation que pose leur origine (cf les séquences filmées proposées dans ce même blog à propos de la destruction des juifs en Europe : elles sont de nature très diverse – scènes tournées par les nazis dans le ghetto de Varsovie, film amateur clandestin, films historiques comme La conférence de Wannsee et Le Pianiste, témoignage extrait de Shoah, l’œuvre de Claude Lanzmann ) .

Le travail pédagogique sur une œuvre diffusée intégralement
On peut aussi envisager, notamment dans un cadre interdisciplinaire, de faire travailler les élèves sur un film projeté dans son intégralité dans une salle de cinéma. On peut ainsi éviter leur frustration quand ils doivent se contenter d’extraits toujours trop courts, et parfois même les initier à quelques œuvres majeures du septième art, comme les films de Chaplin par exemple, pas toujours connus de nos élèves. Par contre, on sera plus réticent à profiter de l’actualité cinématographique immédiate : certains films bénéficient d’un grand battage médiatique et leurs sorties sont précédées par une intense campagne promotionnelle dans nos établissements, sans que leur intérêt pédagogique soit toujours réellement avéré.
Pour travailler sur des films entiers, les possibilités existent : d’abord en utilisant des opérations promues au niveau national comme Collège au cinéma ou Lycéens et apprentis au cinéma ou bien en profitant des programmations proposées dans certaines régions par des associations culturelles : en Alsace, existent plusieurs organismes comme Les Rencontres cinématographiques d’Alsace, le ciné-club de Wissembourg ou Educiné dans le secteur Obernai-Molsheim .
Une démarche possible est de préparer la sortie par quelques questions préliminaires sur le film, le scénario, et le contexte puis, après la projection, d’interroger les élèves sur certains aspects (il n’est pas toujours évident pour les élèves d’avoir un souvenir précis de toutes les séquences et il est donc préférable de poser des questions ouvertes..). Pour réaliser ce type de travail, il convient de préciser que la plupart des associations qui travaillent sur des films destinés au public scolaire fournissent des dossiers pédagogiques ainsi que des fiches simplifiées pour les élèves sur les films programmés dans l’année scolaire. C’est le cas par exemple pour les opérations Collège au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma : chaque enseignant reçoit un dossier et des fiches pédagogiques pour ses élèves. Le site Zéro de conduite produit d’excellents dossiers sur les films les plus récents et qui sont susceptibles d’être exploités pédagogiquement : certains d’entre eux peuvent être téléchargés gratuitement sur le site (de plus en plus, ces dossiers sont payants…).

Un travail d’accompagnement indispensable
En tout état de cause, ce travail de mise en perspective, de contextualisation est indispensable pour permettre une exploitation pédagogique utile : s’il n’a pas lieu, le risque est que les élèves n’y voient qu’une activité ludique et distrayante (« on va au cinéma »!). De plus, la projection de certains films doit de toute façon être « accompagnée » : par expérience, quand j’ai montré Nuit et brouillard à mes collégiens, j’ai pu constater qu’il est essentiel de parler du film avec les élèves après. D’abord parce que les images sont d’une extrême brutalité et que les adolescents doivent en parler. Aussi, parce que l’exceptionnel film de montage de Resnais, toujours aussi efficace, doit être complété par des mises au point sur les avancées de la recherche sur ce thème: notamment, l’historiographie nous a appris depuis la nécessaire distinction maintenant bien établie entre camps de concentration et camps d’extermination qui n’apparaît pas dans ce film de 1955 (le cinéaste ne doit pas être mise en cause mais cet aspect du phénomène concentrationnaire n’était pas encore clairement apparu).

  En conclusion, nous sommes bien conscients qu’il n’est pas possible de mener à bien toutes les démarches explicatives pour chaque extrait passé en classe : par contre, il nous semble qu’évoquer ces problèmes avec les élèves pour certains extraits peut les amener à avoir un regard critique. Pendant longtemps, je commençais mon cours sur la première guerre mondiale par une analyse critique du début d’un documentaire de Jean Aurel, 14-18, réalisé en 1963, avec un commentaire écrit par Jacques Laurent : cette séquence avait l’immense avantage de comporter plein de défauts et de trucages facilement décelables par mes collégiens…L’objectif est bien que les élèves en viennent à considérer aussi le cinéma comme une source d’histoire.

Présentation rapide du blog

A l’issue de ma carrière d’enseignant d’histoire géographie, je me suis particulièrement intéressé aux liens entre histoire et cinéma, pour les raisons que j’ai indiquées.
Je voudrais donc partager avec ceux qui pourraient être intéressés (enseignants, élèves du secondaire, étudiants…) , les travaux et documents que j’ai pu produire et rassembler au cours de toutes ces années.
Ces textes proviennent de plusieurs sources : des dossiers pédagogiques sur certains films, des articles rédigés pour différentes publications ou sites…

En général, les dates des articles sont indiquées.

Sur ce blog, je propose ainsi des articles regroupés dans plusieurs catégories :

Généralités
quelques articles sur des problèmes généraux et quelques réflexions sur l’utilisation pédagogique d’extraits cinématographiques

Histoire et cinéma
-des articles qui évoquent les représentations de certaines périodes historiques à l’écran (par exemple, la Révolution française au cinéma, la première guerre mondiale au cinéma, la seconde guerre mondiale, la guerre froide au cinéma…)

Thèmes
-des articles sur certains thèmes et leur traitement cinématographique (par exemple l’immigré dans le cinéma français, New-York au cinéma, …)

Cinéastes
-des textes de présentation de certains cinéastes : souvent, l’accent est mis sur leur rapport à l’histoire (Ken Loach et le monde ouvrier britannique, Bertrand Tavernier)

Films
-des articles qui portent sur un film en particulier et qui abordent souvent les aspects historiques du film

Filmographies
-des filmographies sur des périodes historiques ou des thèmes particuliers

Sauf exceptions, tous les textes de ce blog ont été écrits par Pascal Bauchard

(pour s’y retrouver, chaque catégorie comporte un sommaire des différents articles, avec les liens correspondants)

Bibliographie générale Histoire et cinéma

Rapports entre Cinéma et Histoire :
-Jean Pierre Bertin-Maghit (sous la direction de) , Une histoire mondiale des cinémas de propagande, éditions Nouveau Monde, 2008
-Jérôme Bimbenet, Film et Histoire, éditions Armand Colin, 2007
-Jean-Loup Bourget, L’histoire au cinéma : le passé retrouvé, Découvertes-Gallimard, n°141, 1992
-Dominique Briand, Enseigner l’histoire avec le cinéma, SCEREN-CRDP Basse-Normandie, 2010
-Dominique Briand, Le cinéma peut-il nous apprendre l’histoire de la France ?, SCEREN-CRDP Basse-Normandie, 2013
-Dominique Chansel, L’Europe à l’écran : le cinéma et l’enseignement de l’histoire, Éditions du Conseil de l’Europe, 2001
-Michel Condé, Le film historique : quelle vérité ? , centre culturel Les Grignoux, 2013
-Christian Delage et Vincent Guiguemo, L’historien et le film, Folio histoire, 2004
-Jean-Luc Douin, Dictionnaire de la censure au cinéma, Editions PUF , 1998
-Marc Ferro, Analyse de films, analyse de sociétés, Paris Hachette, 1976
-Marc Ferro, Cinéma et Histoire, Folio-Histoire, 1993
-Marc Ferro, Cinéma, une vision de l’histoire, éditions du Chêne, 2003
-Marc Ferro et Jean Planchais, Les Médias et l’Histoire, éditions du CFPJ, 1997
-Jean-Michel Frodon, La projection nationale, éditions Odile Jacob, 1998
-Laurent Gervereau, Un siècle de manipulation par l’image, BDIC, Musée d’Histoire contemporaine, éditions Somogy, 2000
-Laurent Gervereau, Les images qui mentent, Seuil, 2000
-Marcel Huret, Ciné-actualités : histoire de la presse filmée 1895-1980, Henri Veyrier, 1984
-Priska Morrissey, Historiens et cinéastes : rencontre de deux écritures, L’Harmattan, 2004
-Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses, éditions Galilée, 2000
-Shlomo Sand, Le XX° siècle à l’écran, Seuil, 2004
-Isabelle Veyrat-Masson, Quand la télévision explore le temps, Fayard, 2000

Articles de revues :

Le cinéma face à l’Histoire, revue Vertigo, Editions Jean-Marie Place, 1997
Film et Histoire, sous la direction de Marc Ferro, Editions EHESS, 1984
Historiens et Géographes face à la médiatisation de l’évènement, ouvrage coordonné par Samra Bonvoisin, CNDP-CLEMI, 1999 (surtout article Dominique Chansel : Du cinéma à la télévision, une histoire des images d’actualités, des jalons pour leur utilisation pour leur enseignement )
Les institutions de l’image, sous la direction de Jean-Pierre Bertin-Maghit et Béatrice Fleury-Vilatte , Editions EHSS, 2001
Voir, ne pas voir la guerre, BDIC, Musée d’Histoire contemporaine, éditions Somogy, 2000
Le documentaire historique au péril du « docufiction », François Garçon, in Vingtième siècle n°88, octobre-décembre 2005
Archives, sous la direction de Valérie Vignaux, revue de l’AFRHC 1895, n° 41, octobre 2003
Témoigner entre histoire et mémoire : le traitement de l’histoire dans les documentaires filmiques, n°108, juillet-septembre 2010, éditions Kimé
Instruments de travail :
Guide des Films (+ guide des Acteurs, des réalisateurs), Jean Tulard, Bouquins, Robert Laffont
Cinéguide : 20 000 films de A à Z , Editions Omnibus
Le guide du cinéma chez soi, Télérama, édition 2004
Dictionnaire du Cinéma, sous la direction de Jean-Loup Passek, Larousse
Encyclopédie du Cinéma, sous la direction de Roger Boussinot, Bordas
-Gaston Haustrate, Le guide du cinéma. Initiation à l’histoire et à l’esthétique du cinéma, 3 volumes, Syros, 1984
-Collection Découvertes-Gallimard (une vingtaine de titres)

Revues :
-Cinémaction (bimestriel)
Éditions Corlet, Département Cinémaction, BP 86-14110, Condé sur Noireau (tel :17 31 59 53 00)
en particulier, les numéros suivants :
« Cinéma et Histoire, autour de Marc Ferro » , n°65, 1992
« L’Histoire de France au cinéma », hors-série, 1993
« Histoire du cinéma. Abrégé pédagogique », n°73, 1994
«50 films qui ont fait scandale», n°103, 2002
Les Cahiers de la Cinémathèque, Institut Jean Vigo, 21 rue Mailly 66000 Perpignan (tel: 04 68 66 30 33)
www.inst-jeanvigo.asso.fr

Analyse de films :
-collection Synopsis chez Nathan
-L’Avant-scène Cinéma (mensuel), 6 rue Gît le Coeur 75006 Paris (tel : 01 46 34 28 20)
-Dossiers pédagogiques Cinéma, Centre culturel Les Grignoux
9 rue Soeurs de Hasque, B-4000 Liège, Belgique (tel 32 (0) 4 222 27 78)
www.grignoux.be
-Dossiers Contreplongée  Rencontres Cinématographiques d’Alsace (documentation de l’Odyssée)
-Dossiers du Ciné-Club de Wissembourg (tel 03 88 94 06 26)

 

Sites :

www.artic.ac-besancon.fr/histoire_geographie
www.cinema-histoire-pessac.com
www.cinehig. Clionautes.fr
www.diffusiontheses.fr (nombreuses thèses sur le cinéma)
www.edu.bifi.fr
http://www.educiné.org/educine/Accueil.html
www.rica-wissembourg.org
www.zerodeconduite.net