Lors des stages que nous avons pu animer, nous avons constaté que les enseignants avaient parfois des scrupules à utiliser des séquences cinématographiques, alors qu’ils ne maîtrisaient pas complètement les codes du septième art, ainsi que son histoire et son évolution. Ils nous disaient leurs hésitations à diffuser un extrait de film en ignorant les notions de cadrage, de mouvements de caméras, de montage, en occultant son contexte historique. Mais ces craintes à notre avis ne sont pas de mise et il faut déculpabiliser les enseignants quand ils sont amenés à utiliser des extraits de films dans leurs cours : il y a quelques points à maîtriser mais rien d’insurmontable ! Et en tout état de cause, il ne s’agit pas de leur demander des présentations exhaustives des œuvres qu’ils présentent. On peut juste faire quelques remarques générales qui devraient rassurer nos collègues.
Questions de formes ?
Dans certains cas, il est certain que les questions de forme ne doivent pas être négligées. Par exemple, si on aborde les films d’Eisenstein, il est souhaitable d’aborder la façon dont le cinéaste utilise le montage : c’est même la marque de fabrique du cinéma soviétique de l’époque, à la suite des enseignements de Lev Koulechov (le fameux « effet Koulechov »). Tous ces réalisateurs, comme Poudovkine, Vertov, ont accordé une grande importance à la manière d’agencer les images, pour mieux faire passer leur message politique , car ce sont tous des cinéastes engagés…
Pour avoir travailler sur une séquence de La Ligne générale avec des élèves de troisième (l’arrivée de l’écrémeuse dans le kolkhoze), je me souviens qu’en guidant les élèves par quelques questions préalables, ils avaient parfaitement décrypté le « style » d’Eisenstein : les très gros plans, la lumière éclairant les visages par dessous, les plans très courts et le rythme saccadé et très rapide du montage, le jeu sur les intertitres…, les les jets de lait sortant de la machine comme les grandes eaux à Versailles…Par contre, ils n’avaient sans doute pas compris toutes les allusions sexuelles qu’y voit par exemple Dominique Fernandez : mais l’objectif pédagogique n’était pas là de toute façon !
Pour beaucoup d’autres films, l’enseignant n’aura pas besoin de s’appesantir sur ces questions formelles, qui ne feraient que compliquer l’utilisation pédagogique de la séquence. Grâce aux innombrables documents existant sur internet, parfois aux stages organisés par les inspections dans les académies, les techniques à connaître restent limitées et les professeurs peuvent assez facilement les acquérir…Sur ce blog même, j’ai proposé quelques documents pédagogiques qui peuvent s’avérer utiles. Dans la mesure du possible, on peut se contenter de souligner l’un ou l’autre aspect technique, sans entrer dans le détail…Un détail bien connu est l’utilisation du cadrage en contreplongée pour filmer les dictateurs , souvent de petite taille, dans les films de propagande des régimes totalitaires !
Un art plus que centenaire
Plus complexe me semble être la question de l’histoire du cinéma : que faut-il en dire aux élèves ? Comment la présenter ? Quand on teste leur culture cinématographique comme j’ai pu le faire dans les classes de lycée, on s’aperçoit à quel point leur vision de l’histoire du cinéma est incomplète et manque de cohérence. Ainsi, les réalisateurs français de l’entre-deux guerres sont assez systématiquement ignorés , comme Jean Renoir, Julien Duvivier, Marcel Carné, René Clair…Les cinéastes anglo-saxons sont mieux connus (en particulier Alfred Hitchcock, John Ford) mais d’autre « oubliés » (Howard Hawks, John Huston…). Le cinéma allemand est surtout connu par certains de ses représentants comme Fritz Lang ou Fredrich Murnau…Il n’est pas question de juger nos élèves mais bien d’essayer de compléter leurs connaissances pour qu’ils aient une approche plus globale du cinéma.
Cet art plus que centenaire a définitivement une histoire et nos élèves en prennent conscience quand nous avons l’audace de leur projeter des films en noir et blanc, parfois non parlants ! Il est ainsi utile de leur présenter -par extraits- des œuvres du cinéma muet, et dans la mesure du possible, ne serait-ce pour qu’ils se rendent compte que cela existe ! On peut bien sûr diffuser les films de Chaplin mais on peut aussi penser à certains films du cinéma soviétique ou allemand des années 1920 (Nosferatu ou Metropolis). L’expérience m’a montré que lorsqu’ils sont correctement préparés, les élèves peuvent être intéressés par des films d’une autre époque. De ce point de vue, le travail que réalisent les dispositifs Collégiens au cinéma ou Lycéens et apprentis au cinéma est indispensable , surtout lorsqu’ils intègrent dans leur programmation des œuvres du patrimoine, même si on peut contester certains choix qui ont pu nous apparaître inadaptés. C’est en tout cas à chaque fois l’occasion de rappeler que le septième art a déjà une longue histoire derrière lui.
Une production cinématographique encadrée…
Il peut être aussi très éclairant d’évoquer dans quel contexte historique, politique et économique les films ont été produits , en particulier dans nos cours d’histoire. Il se trouve que tous les régimes politiques ont compris très vite l’intérêt de contrôler le cinéma, l’art populaire par excellence, susceptible de toucher « les masses ». On connaît la production très encadrée du cinéma dans les régimes totalitaires (URSS, Allemagne nazie) mais il serait naïf de croire que le cinéma hollywoodien a été complètement libre de toute influence : à partir des années 30 et jusqu’aux années 1950, il est soumis au code de censure très strict et tatillon de la commission Hays, qui édicte toute une série de règles à faire respecter par les cinéastes et leurs scénaristes : des livres récents confirment que la lutte fut âpre entre ceux-ci et leurs censeurs, à toutes les étapes de la création, depuis l’élaboration du scénario jusqu’au tournage…(on pense à l’excellent livre de Gregory Halbout paru en 2013, sur La comédie screwball hollywoodienne, qui montre comment les scénaristes ont rusé avec les instances de censure pour faire passer leurs répliques…) De même, le livre récent de Ben Urwand, La collaboration. Le pacte d’Hollywood avec Hitler, nous apprend les liens pour le moins étonnants tissés entre certains studios hollywoodiens et des représentants de l’Allemagne nazie…
En bref, même s’ils ont l’impression de ne pas maîtriser suffisamment le vocabulaire du cinéma, son histoire, il ne faudrait pas que les professeurs se sentent bridés par leurs lacunes supposées, toutes relatives d’ailleurs : on pourrait bien sûr imaginer un enseignement systématique du vocabulaire du cinéma, de l’histoire du cinéma et des différents mouvements, de l’évolution des conditions de production dès les premières années du collège. Mais nous savons bien qu’une telle approche est impossible à envisager pour des raisons de moyens horaires (elle risquerait aussi d’être un peu fastidieuse). Elle est parfois possible dans le cadre de certaines options comme L’historie des arts en lycée, mais certainement pas dans le cadre du collège ni même au lycée…
Par contre, rien ne nous interdit d’évoquer le vocabulaire ou l’histoire du cinéma de manière ponctuelle, lorsque nous projetons l’extrait d’un film marquant. Ainsi, il peut être très utile d’expliquer tel terme technique (le montage, les cadrages, les mouvements d’appareil..), évoquer telle période ou mouvement du cinéma (le cinéma expressionniste allemand, le cinéma soviétique, la Nouvelle Vague…), expliquer tel contexte (la censure dans les régimes totalitaires, le «code hollywoodien »). Lorsque j’étais encore en fonction, une collègue de français qui participait à l’opération Collégiens au cinéma m’avait sollicité pour préparer ses élèves de sixième à la projection des Temps modernes : nous avions ainsi profité de cette séance pour faire une présentation générale de l’histoire du cinéma ainsi que sur la vie et l’œuvre de Charlie Chaplin.
Au moins, nos élèves pourront prendre conscience à quel point le cinéma est un art important, qui a ses propres techniques et sa propre histoire, sans oublier qu’il peut être aussi une industrie, pour paraphraser Malraux…
Pascal Bauchard
(24 mai 2015)
voir Documents pédagogiques : histoire du cinéma